Plus personne n'était dupe du naufrage. Et tout le monde savait que le couperet allait tomber. C'était une question de temps. Depuis des semaines, le milieu du cinéma attendait la confirmation d'une nouvelle annoncée depuis un moment: la fin des subventions au Festival des films du monde, moribond depuis trop longtemps.

On en a eu la confirmation jeudi, de la bouche de la directrice générale du FFM Danièle Cauchard, qui s'est confiée à ma consoeur du Devoir Odile Tremblay. Les principaux bailleurs de fonds du festival, Téléfilm Canada, la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC) et la Ville de Montréal, ont décidé de couper les vivres au FFM, qui doit avoir lieu du 21 août au 1er septembre prochains.

La rumeur de ces coupes - de l'ordre de 225 000$ pour la SODEC, 325 000$ pour Téléfilm Canada et 150 000$ pour la Ville de Montréal - courait depuis si longtemps que certains avaient fini par croire que les institutions avaient changé d'idée, manqué de courage ou de temps pour mettre leur plan à exécution.

Oui, de courage. C'est le mot que j'entends le plus souvent pour qualifier cette décision des organismes subventionnaires. Même si la quasi-condamnation à mort du FFM - son président et fondateur Serge Losique, véritable phénix, ne saurait être trop vite enterré - a suscité bien peu de réactions. Sur les réseaux sociaux, il n'en a pratiquement pas été question jeudi. Cela est sans doute cruel, mais guère étonnant, dans la mesure où dans l'esprit de bien des cinéphiles, le FFM est mort depuis des années.

Le festival était sous respirateur artificiel depuis le putsch raté des institutions en 2005 et le fiasco du Festival international de films de Montréal, chapeauté par Spectra. La SODEC et Téléfilm avaient, après deux années de régime sec, recommencé à le financer en 2007, faute de mieux, et sans doute tenaillés par un sentiment de culpabilité.

Il fallait pourtant mettre un terme à la mascarade. Cela aurait dû être fait il y a longtemps. Il ne se trouvera pas beaucoup de gens avisés pour dire le contraire. Serge Losique vit depuis de nombreuses années dans le déni de la réalité. Celle de la déliquescence de son festival, qui a perdu tout son prestige, n'attire plus les cinéastes importants du moment et ne compte plus pour occuper ses salles clairsemées que sur une poignée d'irréductibles.

M. Losique a toujours refusé de l'admettre. Il brandit encore aujourd'hui, pour justifier la pertinence du FFM, son statut de «seul festival compétitif en Amérique du Nord» dûment reconnu, étiquette dont il s'était moqué comme d'un outil de marketing insignifiant lorsqu'il en avait été privé au début des années 2000.

Serge Losique parle constamment d'une étude d'Influence Communication sur le nombre de mentions du FFM dans les médias internationaux (ce qui n'est pas étonnant étant donné la quantité astronomique de films qui y sont présentés, venant de partout dans le monde). Sans préciser bien sûr que, toujours selon Influence Communication, «le Festival des films du monde ne suscite [...] que peu d'intérêt médiatique pour la ville de Montréal».

On se questionne forcément, dans les circonstances, sur les prétendues retombées touristiques du FFM, estimées par sa direction à 22 millions, tellement son manque de transparence et sa gestion opaque sont dénoncés par tout un chacun depuis toujours.

Ce qui ne fait aucun doute, en revanche, c'est que le FFM a été incapable de se renouveler et de se moderniser depuis 20 ans, tant d'un point de vue économique qu'artistique, ressassant ses années de gloire depuis longtemps disparues. Comme Serge Losique, le festival est resté figé dans les années 70 et 80, autant dans ses références cinématographiques que dans ses façons de faire.

Le FFM est aujourd'hui soit au bord de la faillite, soit en faillite technique, sinon en déni de faillite (la direction semble minimiser ses dettes et ses déficits).

Selon nos sources, plusieurs fournisseurs de services n'ont pas été payés pour le festival de 2013 et il est loin d'être sûr, par exemple, que la Place des Arts voudra louer une de ses salles pour l'ouverture cette année.

Sans le soutien des institutions, et sans plan de redressement digne de ce nom, on se demande comment le FFM pourra tenir le coup, même à court terme.

À qui la faute? Serge Losique n'a certainement pas aidé sa cause, entêté comme il est. S'il est indéniable qu'il a beaucoup fait pour le cinéma au Québec, il lui a surtout nui ces dernières décennies. Il causé des dommages irréparables à la scène des festivals de cinéma montréalais, qui comptait autrefois sur l'échiquier mondial avant de se faire damer le pion par Toronto.

M. Losique ne doit évidemment pas recevoir tout le blâme de ce gâchis. Les décideurs et les politiques l'ont trop longtemps laissé courir à sa perte, ne redressant pas la barre, et échouant à un exercice de mutinerie bâclé il y a une dizaine d'années. Le milieu s'était depuis résigné à laisser le bateau couler de lui-même, en attendant d'essayer de rafistoler l'embarcation à la dérive une fois le capitaine disparu. Même sa directrice générale Danièle Cauchard souhaite abandonner le navire avant le naufrage final (désolé pour la métaphore navale).

Heureusement, des gens courageux et lucides, telles Monique Simard et Carolle Brabant, ont décidé qu'assez, c'était assez. On ne peut gérer un événement qui reçoit des centaines de milliers de dollars en deniers publics de manière dictatoriale, en refusant de rendre des comptes.

C'est malheureux pour M. Losique, mais il est grand temps de passer à autre chose. Et de tenter de reconstruire la crédibilité et la solidité de nos festivals, en espérant qu'il ne soit pas trop tard. Le vieux renard arrivera-t-il tout de même à tenir son festival à la fin août? Il l'a toujours fait, contre vents et marées. Ce sera difficile. Mais s'il y en a un qui peut survivre à un tel camouflet, c'est bien lui.