C'était il y a quelques semaines au Combat contre la langue de bois, organisé au Cabaret du Mile End par l'organisme Les filles électriques. La directrice du Théâtre du Nouveau Monde, Lorraine Pintal, a saisi le micro en prenant soin d'avertir son auditoire qu'elle se permettrait une montée de lait en règle.

Fini les formules de politesse et les salamalecs. On laisse tomber les gants. On va se dire les vraies affaires, entre adultes vaccinés, dans le blanc des yeux. Regardez-moi ben aller...

Au terme des cinq minutes réglementaires, le gouvernement Harper en avait pris pour son rhume, sa grippe et ses rhumatismes. L'incarnation du Mal méprisant la Culture avec un grand C et considérant les artistes comme des assistés sociaux à qui il faudrait couper les vivres.

J'ai eu l'impression d'avoir entendu ce discours 100 fois. Parce que dans les faits, je l'ai entendu 100 fois. Rien de nouveau sous le soleil, ni dans le fond ni dans la forme. Des récriminations générales et des évidences que l'on rappelle dans un discours adapté, formaté, pour un public conquis d'avance. Sans un cheveu qui dépasse.

J'ai été déçu. Au terme de cette tirade nourrie de lieux communs, policée, aseptisée, convenue, je me suis fait la réflexion que la langue de bois des uns avait fini par contaminer celle des autres. Et qu'il faut parfois aérer une pièce trop longtemps renfermée pour y laisser entrer de nouvelles idées.

Quelques semaines plus tard, la comédienne et metteure en scène annonçait sa candidature comme députée du Parti québécois (PQ) dans Verdun. Je n'en ai pas été le moindrement surpris. Je l'avais vue adopter le verbe, le ton, les formules de la rhétorique politique, sans écorcher - même indirectement - le gouvernement Marois. Il y avait pourtant matière. Et les circonstances, une zone franche, libre de toutes limites, entre sympathisants de gauche (les nouveaux amis de PKP!), s'y prêtaient. Tant pis pour la langue de bois. On la combattra une autre fois.

Plusieurs voient déjà en elle la prochaine ministre de la Culture. Il est loin d'être acquis d'abord qu'elle sera élue, ensuite que le PQ restera au pouvoir. Lorraine Pintal a certainement plusieurs qualités requises pour occuper le poste. Elle ne craint pas la controverse, mais sait rallier un large public. Elle a surtout l'habitude des négociations ardues, de lutter pour du financement, de se battre avec succès, pour elle et pour les autres. Ce n'est pas donné à tout le monde.

Les rumeurs sont nombreuses en période électorale. Certaines sont plus fondées que d'autres. Dans les milieux culturels, une rumeur persistante envoie Maka Kotto loin, très loin, du ministère de la Culture, advenant une victoire péquiste (ce qui, dans la foulée de «l'effet PKP», semble de moins en moins sûr).

Pauline Marois ne mettra pas la charrue avant les boeufs. Elle est loin d'avoir arrêté la composition d'un éventuel Conseil des ministres. Mais si elle a sollicité personnellement Lorraine Pintal, ce n'est pas pour faire de la figuration en arrière-scène. La première ministre a beau, comme le répètent les candidats, n'avoir fait de promesses à personne, elle a un échiquier en tête et des pions à y placer.

Lorraine Pintal, actuellement en congé sans solde, n'envisage pas de quitter définitivement la direction du TNM pour rien. Ajoutons à cela qu'un éventuel départ de Maka Kotto de son poste de ministre de la Culture ne créerait pas beaucoup de remous, ni au sein du caucus péquiste ni dans les milieux culturels.

Contesté à gauche et à droite pour son manque de tonus, d'aplomb et de crédibilité, le ministre Kotto est perçu, même au sein du PQ, comme un mou. Il a la mauvaise réputation d'envoyer ses dossiers dans la cour de ses collègues et une propension marquée à ne pas répondre directement aux questions des journalistes. Ce qui n'enlève rien aux qualités humaines de cet acteur érudit, charmant et sympathique, prompt à déclamer les poèmes les plus fleuris dans les partys de bureau.

Ce n'est malheureusement pas la principale qualité que l'on attend d'un ministre de la Culture. J'aurais aimé lire Maka Kotto participant au projet «Si j'étais ministre de la Culture», du Conseil québécois de la culture, tellement il n'a pas réussi à imposer son autorité au ministère. Être ministre de la Culture, ce n'est pas seulement distribuer des subventions dans les maisons de la culture et s'en enorgueillir sur les réseaux sociaux. C'est imposer une vision, une façon de faire, une volonté de tous les instants. C'est se battre pour que cette valeur parfois abstraite et intangible qu'est la culture, qui fait le tissu d'un peuple et d'une société, soit protégée. Pas seulement avec des voeux pieux et des phrases poétiques. Mais avec de l'argent sonnant et trébuchant.

Pour se démarquer comme ministre de la Culture, il faut être pugnace. Il faut non seulement protéger ses acquis, mais aussi tenter de faire des gains. En faisant des représentations auprès des ministères qui comptent. Non, je ne réduis pas la culture à son financement. Mais je rappelle que Maka Kotto, comme ministre de la Culture, n'a pas «livré la marchandise».

Tout au long de son mandat, il a multiplié les excuses pour justifier le manque d'investissement dans le secteur de la culture. Les promesses non tenues de son gouvernement lors de la dernière campagne électorale sont tellement nombreuses qu'il faudrait être d'une candeur extrême pour se laisser de nouveau prendre au jeu.

En 2012, le PQ avait promis d'augmenter le budget du Conseil des arts et des lettres de 13 millions de dollars. Cela n'a pas été fait. Il avait promis de bonifier le budget de la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC) de 8 millions. «Show me the money!», comme dirait Cuba Gooding Jr...

Maka Kotto avait aussi promis de déposer dans les plus brefs délais un projet de loi sur le prix unique du livre, allant dans le sens des revendications du milieu littéraire. Il est mort au feuilleton, au moment du déclenchement des élections. Bien des engagements rompus pour un seul homme.