Ce n'est pas qu'ils sont à plaindre, mais les journalistes culturels doivent constamment se battre pour être pris au sérieux. Par leurs confrères, par le public, par l'industrie et les artistes qui parfois ne saisissent pas bien la nature de leur travail.

Depuis 20 ans que je pratique ce métier, j'ai toujours senti le besoin de défendre sa pertinence. Peut-être parce que le journalisme culturel ne permet pas généralement de débusquer des scandales financiers et politiques? Ou parce qu'il n'aura sans doute aucun impact sur la crise en Syrie? Qui sait?

J'aime mon métier. Je crois qu'il est utile, pour plus d'une raison. Et j'estime que le bon journaliste aux arts fait tout autant un travail essentiel de chien de garde que le journaliste aux affaires internationales ou municipales.

La culture est aussi une industrie qui tente parfois de faire passer ses «produits» médiocres pour des chefs-d'oeuvre, à coups de centaines de milliers de dollars de publicité. Sans le travail des journalistes, le public serait souvent laissé à lui-même, à chercher à tâtons, parmi un menu culturel de plus en plus foisonnant, ce qui en vaut la peine.

J'aime mon métier, mais je m'en inquiète. Parce que le mélange des genres menace, encore davantage aujourd'hui qu'à mes débuts, la crédibilité du journalisme culturel. Parce que le copinage, la complaisance, l'obsession du vedettariat, la dictature de la cote d'écoute ou du clic sur le web font en sorte que la frontière n'est pas toujours étanche entre le journalisme et la publicité.

L'hebdomadaire Voir fut longtemps un fleuron du journalisme culturel montréalais. Une référence, à l'époque, pour l'étudiant que j'étais. Mais voilà que Voir traverse, comme tous les médias écrits, une période difficile. À ce point difficile, il semble, qu'il en est même venu à compromettre, au nom de sa survie, les règles les plus élémentaires de la pratique journalistique.

Le dernier numéro de l'hebdomadaire, consacré à «L'été culturel», est l'un des exemples les plus navrants d'intégration de contenu publicitaire qu'il m'ait été donné de voir en 20 ans de carrière. Dans une mise en page pratiquement identique, le numéro alterne entre des reportages rédigés par des journalistes et des reportages publicitaires.

Le comble de l'ironie, c'est que les publireportages de l'Équipe Spectra, identifiés de manière on ne peut plus discrète comme du «contenu promotionnel», ont été rédigés par Laurent Saulnier, un ancien journaliste emblématique de Voir. On aurait voulu leurrer le lecteur (ce dont se défend le rédacteur en chef, Simon Jodoin) qu'on ne s'y serait pas pris autrement.

On n'en voudra pas à Laurent Saulnier de vanter, sans bémols, les mérites du Festival international de jazz et des FrancoFolies de Montréal, dont il est le directeur artistique. J'en veux, en revanche, à la direction de Voir de tout faire pour que son lecteur puisse légitimement croire qu'il s'agit du texte, indépendant d'esprit et de pressions commerciales, d'un de ses journalistes.

L'ancien hebdo irrévérencieux ne s'est pas arrêté en si bonne route et a aussi publié un texte sur les activités estivales de l'OSM rédigé par l'OSM, un reportage sur Festimania écrit par Festimania et une ode à Paul McCartney signée par une compagnie qui vend des billets de Paul McCartney. Sur le site internet de Voir, tous les textes - des journalistes comme des commanditaires -sont aussi livrés en vrac, sans égard à ce qui est du contenu rédactionnel ou promotionnel.

J'imagine, si Voir couvrait encore des sujets de société, qu'on aurait aussi demandé aux principaux candidats à la mairie de Montréal de faire leur éloge, moyennant une légère compensation financière, en faisant passer le tout pour du contenu journalistique.

Il est bien sûr délicat de critiquer un autre média, mais j'oserai le dire crûment: le dernier numéro du Voir est une honte à la profession que j'aime et que j'exerce. Une tache à la réputation et la tradition de journalisme de qualité de Voir, qui se targue d'être le dernier hebdomadaire culturel indépendant au Québec. Et un argument de plus dans la besace de ceux qui méprisent le journalisme culturel en l'assimilant à de la promotion déguisée.

Le plus inquiétant dans cette histoire, c'est que la direction de Voir ne voit rien de répréhensible dans sa manière de mélanger aussi pernicieusement les genres. Les normes en matière de publicité et de contenu rédactionnel sont pourtant claires.

Non seulement les médias doivent-ils identifier clairement les textes publicitaires, mais ils doivent les présenter dans une forme qui les distingue de façon manifeste, par leur mise en page, des autres textes, précise le code de déontologie du Conseil de presse du Québec. C'est une question de respect du lecteur, qui a le droit de savoir clairement, sans faux-fuyants, que ce qu'on lui offre à lire a ou n'a pas été commandité.

Voir, qui a passé récemment le cap des 25 ans, est publié seulement deux fois par mois depuis cet été. En annonçant la nouvelle, son rédacteur en chef, Simon Jodoin, a écrit: «Au sein de cette nouvelle donne médiatique, nous devons défendre avec vigueur, coûte que coûte, l'importance et la valeur d'un contenu éditorial de qualité.»

Si Jodoin ne souhaite pas que l'on se souvienne de lui comme de celui qui a bradé à bas prix une marque respectable, en la gérant comme un blogue amateur, le temps est venu de passer de la parole aux actes.