French Immersion est un échec sans appel. De chaque côté de nos solitudes. Deux semaines après son lancement, la comédie bilingue de Kevin Tierney fut priée hier de quitter l'unique salle torontoise où elle affichait ses couleurs dans les deux langues officielles. Elle ne survit désormais plus à Montréal que sur un seul écran, dans sa version sous-titrée en anglais.

Faut-il s'étonner de l'échec d'un mauvais film? Évidemment, non. Mais celui-là creuse encore davantage, comme si besoin était, la tombe dans laquelle s'enfonce le fantasme d'une «industrie du cinéma canadienne». Cette utopie d'une oeuvre «nationale» rassembleuse qui ravirait sous l'emblème unifolié autant le public de Saint-Tite que celui de Flin Flon est surtout entretenue, il faut bien le dire, par nos amis anglos. Qui se désespèrent de voir leurs films être projetés dans l'indifférence la plus totale de leurs compatriotes.

La production cinématographique canadienne n'étant pas aussi effervescente que celle du Québec, toutes proportions gardées bien sûr, les collègues critiques d'outre-Outaouais ont parfois tendance à faire passer «l'intérêt national» avant tout. Dès qu'un film local touche de façon plus sensible la fibre patriotique, le sens critique est alors souvent relégué au second plan. Ce phénomène, remarquez, ne leur est pas unique. Nous n'y échappons pas, pas plus que tous les peuples dotés d'une «petite» cinématographie nationale. Mais on a quand même pu mesurer ce phénomène de façon plus aigüe lors de la sortie de Passchendaele il y a quelques années. La division entre la presse anglophone et francophone ne pouvait être plus clairement tranchée.

Si French Immersion (C'est la faute à Trudeau) a pu susciter quelques commentaires favorables dans la presse «nationale», il reste que cette comédie ratée est quand même passée dans le tordeur auprès de la majorité des critiques influents.

«Un peu comme si le cinéma canadien n'avait guère avancé depuis Porky's!», pouvait-on lire dans le Toronto Star.

La principale erreur de Kevin Tierney aura justement été d'utiliser des références caricaturales du passé, tant du côté franco qu'anglo, pour tenter d'expliquer le présent. De surcroît, le vétéran producteur de Bon Cop Bad Cop, qui a signé là sa première réalisation, a campé son intrigue dans une «région» reculée de la «Belle Province». Et il a tenté de faire écho, sous le couvert d'une comédie, à une réalité semblant tout droit sortir de l'époque de la Grande Noirceur. Or, la «région» inspire aujourd'hui les cinéastes d'une façon beaucoup plus subtile. Et moderne. Elle ne sert plus de prétexte à offrir en pâture aux urbains des personnages de cirque consanguins qui s'évanouissent à la vue d'un étranger. Et ce, depuis longtemps.

De Denis Côté (Curling) jusqu'à Guy Édoin (Marécages), en passant par Stéphane Lafleur (En terrains connus) ou, bientôt, Sébastien Pilote (Le vendeur), les cinéastes parviennent maintenant à révéler une part de nous-mêmes de façon beaucoup plus juste, peu importe le ton qu'ils utilisent ou l'endroit où ils tournent. Loin des grands centres et des clichés d'usage. C'est tout à leur honneur.

S'approprier une oeuvre

Une discussion intéressante s'est déroulée cette semaine dans le blogue que j'anime sur Cyberpresse. Café de Flore ayant dépassé la barre du million de dollars au box-office - un bel exploit pour un film dont la trame narrative est complexe -, j'ai demandé aux gens ce qu'ils avaient compris et retiré du plus récent long métrage de Jean-Marc Vallée. Au cours d'une récente conversation impromptue avec lui, l'auteur cinéaste me disait en effet être ravi par le succès qu'obtient son film, mais quand même un peu surpris par les interprétations différentes qu'en font les spectateurs. Les commentaires laissés par plusieurs intervenants sur le blogue - bien formulés et bien étoffés pour la plupart - témoignent de la réaction viscérale que suscite Café de Flore chez certaines personnes, mais confirment aussi l'observation du cinéaste.

Face à une oeuvre, le spectateur est libre d'y prendre ce qu'il veut, peu importe les intentions de son auteur. Il est d'ailleurs fascinant de constater à quel point, à la lumière de ces messages, certains préfèrent s'en tenir à leur propre interprétation du récit, même en sachant probablement fausse la piste qu'ils empruntent. Un peu comme pour Inception, qui avait provoqué bien des débats de cette nature aussi, le spectateur est ainsi appelé à devenir partie prenante du processus créatif du film, quitte même à inventer parfois une dimension qui, sur papier, n'existe pas. Quand un univers dépeint à l'écran est assez riche pour permettre à celui qui le regarde d'y projeter son propre imaginaire, on peut y voir alors la marque d'un grand créateur.