Le FBI a-t-il tenté de torpiller la campagne de Hillary Clinton ? A-t-il au contraire voulu la protéger ? À quel jeu s'est livré son directeur James Comey ?

Ces questions hantent les coulisses de la campagne présidentielle... et avec raison, car l'existence d'une « police politique » est l'un des pires risques que puisse courir une démocratie.

Le FBI s'est-il indûment ingéré dans la campagne présidentielle en annonçant, à 11 jours de l'élection, qu'une autre masse de courriels non sécurisés avait été trouvée, cette fois parmi les quelque 650 000 courriels accumulés dans un ordinateur qu'utilisaient sa plus importante collaboratrice, Huma Abedin, et l'ex-mari de cette dernière ?

Le FBI a-t-il au contraire protégé la candidate en refusant d'intenter des poursuites en juillet dernier, après qu'il eut été confirmé que les communications de Mme Clinton, durant ses années comme secrétaire d'État, se faisaient sur son serveur personnel, au mépris des règles élémentaires de la sécurité ?

S'il n'avait pas été question d'une candidate à la présidence, le FBI aurait-il été plus sévère ?

Au sein du FBI, si l'on en croit la presse américaine, les deux points de vue coexistent... et à vrai dire, personne ne voudrait être dans les souliers de James Comey, que cette affaire a placé du début à la fin entre le marteau et l'enclume.

En juillet, on lui a vivement reproché d'avoir verbalement accusé Mme Clinton de « négligence extrême » alors même qu'il déclarait que sa conduite n'avait pas été criminelle et ne justifiait pas une poursuite en justice.

Effectivement, le rôle d'un policier est de monter un dossier et de porter des accusations, point à la ligne. S'il n'y a pas d'acte d'accusation, le policier ne doit pas commenter l'affaire, et surtout pas porter un jugement subjectif.

Mais si, à l'extérieur du FBI, nombre de gens lui ont reproché d'avoir émis un jugement de valeur sur le comportement de Mme Clinton, il n'en est pas allé de même au sein du FBI, où beaucoup d'enquêteurs étaient outrés de voir que l'on ne portait pas d'accusations contre la candidate démocrate. On dit par ailleurs que le FBI compte beaucoup d'enquêteurs d'allégeance républicaine, ce qui n'aurait rien d'étonnant venant d'un groupe qui se consacre à « la loi et l'ordre », mais ce qui ne veut pas dire non plus qu'ils seraient tous aveuglés par la passion politique.

Quant à M. Comey lui-même, c'est un ancien républicain qui a depuis longtemps renoncé à toute affiliation partisane. Il doit son titre actuel au président Obama, après avoir travaillé sous l'administration Bush. Il a toujours eu la réputation d'un policier droit dans ses bottes, inaccessible aux pressions politiques.

Néanmoins, le doute persiste, quant à savoir si un simple haut fonctionnaire, ayant traité des affaires de l'État sur son serveur personnel pendant quatre ans, n'aurait pas fait l'objet d'accusations. Là-dessus, les avis sont partagés.

En juillet, M. Comey avait ajouté que si des éléments nouveaux survenaient dans le dossier Clinton, il en avertirait le Congrès. Or, c'est exactement ce qui s'est passé en octobre : en fouillant dans l'ordinateur de l'ex-mari de Mme Abedin, lequel est l'objet d'une enquête pour crimes sexuels, on est tombé sur des courriels échangés entre Mme Abedin et sa patronne.

Quand le directeur du FBI a averti le Congrès de cette nouvelle trouvaille, était-il simplement fidèle à son engagement de lui revenir advenant des faits nouveaux ?

Ou voulait-il faire dérailler la campagne Clinton ? La ministre de la Justice, une démocrate, de même que le président Obama, ont blâmé M. Comey. Effectivement, normalement la police ne commente pas publiquement des enquêtes en cours. D'autant plus, pourrait-on ajouter, que l'on ne savait rien du contenu de ces courriels.

Par contre, à la défense de M. Comey, que serait-il arrivé si, une fois Mme Clinton au pouvoir, le FBI avait découvert des courriels gravement incriminants ? Le patron du FBI aurait alors été accusé de cover-up pour avoir caché à la population des faits importants susceptibles de disqualifier la candidate.

Quoi qu'il en soit, si erreur il y a eu, M. Comey a tout fait pour la réparer prestement, en annonçant dimanche que les courriels ne contenaient rien de délicat. Ses enquêteurs ont dû faire bien des heures supplémentaires pour tous les éplucher ! Mais le mal avait été fait (si mal il y a vraiment eu), car à deux jours de la fin du scrutin, beaucoup d'électeurs avaient déjà voté ou s'étaient fait une idée irrévocable.

La presse est remplie d'hypothèses sur le sort qui attend M. Comey au lendemain de l'élection. Le pauvre homme peut au moins se compter chanceux d'avoir simplement survécu à cet éprouvant épisode. Pris entre deux feux, il ne pouvait pas gagner quoi qu'il fasse, et les deux camps l'ont honni tour à tour.