Un Stephen Harper placide et souriant, un Thomas Mulcair combatif et efficace, un Gilles Duceppe fort à l'aise et pour cause : non seulement était-il le seul à parler sa langue maternelle, mais encore il en était au 16e débat de sa carrière !

Il aurait dû gagner ce débat. Ce ne fut pas le cas, on ne sait trop pourquoi. Peut-être parce qu'il était le seul, avec Elizabeth May, à ne pas être un prétendant sérieux au pouvoir. Il n'a pas réussi à déstabiliser Thomas Mulcair. Tom-Thomas est un fin renard.

Et il y avait Justin Trudeau, qui s'est distingué par la maladresse avec laquelle il débitait ses cassettes. Que pense-t-il de l'aide à mourir ? Il répond en parlant de son plan fiscal ! Ses « handlers » (ses entraîneurs) n'avaient pas prévu la question...

Le niveau de langue de Justin Trudeau, en français, est celui d'un cégépien anglophone qui aurait passé quelques années dans une classe d'immersion.

Contrairement à Stephen Harper qui a appris le français à l'âge adulte, mais s'exprime clairement (parce qu'il a les idées claires), contrairement à Thomas Mulcair qui parle français avec naturel et aisance, Justin Trudeau est à court de mots, incapable de faire des phrases structurées et de développer une pensée le moindrement cohérente.

Il faut l'entendre : il veut être « partenaire aux provinces », il évoque les « infrastructures sociaux », il ânonne qu'« on ne peut pas avoir un État qui impose comment une femme ne devrait pas s'habiller »... Pour tout dire, Elizabeth May, l'autre soir, avait l'air plus allumé malgré son français déficient : elle était sûre d'elle, fougueuse, animée par la force de ses convictions.

Où s'en va-t-on, maintenant ? Dieu sait où, si l'on se fie aux sondages qui montrent les partis coincés dans une quasi-égalité. Mais on le sait aujourd'hui, à la lumière de ce qui s'est passé lors des dernières élections en Alberta, en Colombie britannique, au Québec et en Grande-Bretagne, il ne faut pas prendre les sondages au pied de la lettre.

La seule chose dont on puisse être à peu près sûr, c'est celle-ci : les sondages sous-estiment toujours le vote conservateur (ou de droite), car ses partisans sont plus discrets que les autres... et, étant plus âgés, se rendent aux urnes en plus grand nombre.

Si l'on se fie au sondage Ekos publié par La Presse, il y aurait eu cette semaine une spectaculaire remontée des conservateurs, une remontée que l'on ne peut attribuer, du moins en partie, qu'à la question du niqab - une affaire très secondaire en soi, mais dotée d'une forte charge symbolique.

Or, il appert que le coup avait été longuement planifié depuis le bureau du premier ministre, qui, dès mars dernier, avait commandé un sondage Léger sur le port du niqab aux cérémonies de citoyenneté. Les majorités qui s'y opposaient étaient écrasantes : 82 % dans l'ensemble du Canada, 93 % au Québec, 85 % des plus de 55 ans, et (chiffre plus surprenant) 76 % des titulaires d'un diplôme universitaire. De quoi pousser le gouvernement à faire de cette question l'enjeu de la seconde moitié de la campagne...

Tout comme le gouvernement Marois avec sa charte de la laïcité, le gouvernement Harper a donc décidé de faire campagne sur le dos des minorités - en l'occurrence, l'infime minorité des femmes qui portent un niqab, le sous-groupe le plus isolé et le plus vulnérable de la population. C'est d'un cynisme consommé.

Le plus étonnant, c'est l'appui enthousiaste d'un Gilles Duceppe à cette tactique, lui qui jusqu'à présent s'était montré fort peu enclin à enfourcher le cheval du nationalisme identitaire. Il s'y est peut-être résolu par désespoir, pour relever son radeau qui prend l'eau, mais cela ne constitue pas une excuse.