Il y a 30 ans seulement, il aurait été tout simplement inconcevable qu'Ottawa formule la simple hypothèse de permettre à des investisseurs étrangers de détenir jusqu'à 49 % d'une compagnie aérienne canadienne. Il s'agissait d'un secteur économique stratégique que le gouvernement allait défendre jusqu'à la mort. Un enjeu d'intérêt national.

Il n'était pas question que des investisseurs étrangers décident - pour de simples raisons économiques - des routes à desservir dans un pays aussi vaste et peu peuplé que le Canada.

Les transporteurs aériens étaient des biens d'utilité publique à tel point que le gouvernement fédéral a créé, en 1937, les Ligues aériennes Trans-Canada qui deviendront Air Canada en 1964, une société d'État qui sera privatisée en 1989.

C'est d'ailleurs en prévision de cette privatisation que le gouvernement Mulroney a décidé, en 1987, de limiter à 25 % la propriété étrangère des compagnies aériennes canadiennes. On ne voulait pas, avec raison, qu'Air Canada devienne une filiale d'un transporteur américain dans la foulée de sa privatisation.

Cette protection était aussi un moyen de préserver une partie de l'héritage de ce qui avait été durant 50 ans l'une des principales sociétés de la Couronne du pays.

Le ministre des Transports Marc Garneau a donc décidé de porter de 25 % à 49 % la limite de propriété étrangère des compagnies aériennes dans le but avoué de favoriser l'émergence du transporteur à rabais Jetlines.

Comme l'explique mon collègue Joël-Denis Bellavance, Jetlines veut développer son modèle d'affaires au Canada en se constituant une flotte d'appareils de la C Series, mais la compagnie dépend d'investisseurs étrangers pour financer son expansion qui prévoit l'acquisition d'au moins 25 avions de la C Series.

À défaut de confirmer sa participation financière dans le programme de la C Series, attendue depuis plus d'un an, Ottawa décide de bouger sur un autre front en permettant à Jetlines d'avoir les moyens de ses ambitions de s'offrir une flotte d'appareils de Bombardier. C'est de bonne guerre.

En permettant aux investisseurs étrangers de contrôler dorénavant jusqu'à 49 % d'une compagnie aérienne canadienne, Ottawa s'aligne sur les mêmes seuils de propriété que l'on observe dans les pays membres de l'Union européenne.

UN VIRAGE À 180 DEGRÉS

Il y a deux semaines, lorsque le Conseil consultatif en matière de croissance économique a présenté ses principales recommandations au ministre des Finances Bill Morneau, j'ai souligné que si ces mesures étaient adoptées, on assisterait alors à une rupture idéologique radicale entre les ères Trudeau père et fils.

Les années Trudeau père ont été marquées par le déploiement d'un nationalisme économique étanche avec notamment la création de l'Agence de tamisage des investissements étrangers, en 1974, pour empêcher la mainmise étrangère sur l'économie canadienne.

Mardi, le ministre des Finances Bill Morneau a confirmé le changement de cap des libéraux qui se sont résolument mis en mode séduction afin de relever de façon importante la part des investissements étrangers dans l'économie canadienne.

L'Agence de tamisage des investissements étrangers de jadis fait maintenant place à Invest in Canada, une agence qui fera activement la promotion du Canada auprès des investisseurs du monde entier.

Toujours dans le but d'attirer de nouveaux capitaux de l'extérieur, Bill Morneau va rehausser dès l'an prochain le seuil d'examen d'une entreprise étrangère qui désire acheter une entreprise canadienne.

Ce seuil qui était fixé à 600 millions sera haussé à 1 milliard l'an prochain. On cherche vraiment à assouplir l'image un peu rigide que projetait le Canada à l'endroit des investisseurs étrangers.

Comme l'a bien démontré le comité Barton, le Canada traîne laborieusement la patte en matière d'attractivité d'investissements étrangers par rapport à ses pairs.

Les pays de l'OCDE enregistrent une progression moyenne annuelle de 7 % des investissements étrangers directs qui sont réalisés chez eux, alors que le Canada affiche une maigre progression annuelle moyenne de 2 %. Le Canada a décidé de se faire plus accueillant et il était temps.