L'accélération du mouvement de départ à la retraite de milliers de propriétaires d'entreprises québécoises a déclenché ces derniers mois un émoi certain au sein de la communauté des affaires à la suite des ventes successives de Rona et de St-Hubert. Marcel Ostiguy, ex-propriétaire des Aliments Carrière, nous explique pour sa part que c'est justement pour assurer la pérennité de son entreprise qu'il a préféré la vendre à des intérêts européens, en 2007.

Nous sommes au début des années 70 à Saint-Césaire, en Montérégie, au coeur du garde-manger québécois parce que c'est là qu'on trouve les meilleures terres arables du pays.

À proximité de la rivière Yamaska, la petite conserverie de légumes Girard met en conserve des haricots, des petits pois, des carottes et des betteraves qui viennent d'être fraîchement récoltés.

« Mon père avait racheté la conserverie et j'en ai pris la direction générale en 1974. Je savais que, pour durer dans cette industrie, il fallait grossir », se souvient Marcel Ostiguy.

« En 1987, j'ai réalisé la fusion avec Aliments Carrière qui avait une usine de transformation de légumes - principalement des haricots et du maïs - à Saint-Denis-sur-Richelieu. Ils avaient aussi une petite opération de confiserie qui avait développé le Map-O-Spread, très populaire et aussi très rentable. »

Après cette fusion, l'entreprise adopte le nom Aliments Carrière, plus connu à l'époque. Les ventes combinées des deux usines totalisent 13 millions, et la production est destinée majoritairement aux marques génériques de légumes en conserve des détaillants en alimentation.

C'est le début de la consolidation qu'avait décidé d'entreprendre alors Marcel Ostiguy.

Peu de temps après, Aliments Carrière fait l'acquisition de l'usine Snyder, le seul transformateur de légumes congelés du Québec, qui est détenu minoritairement par la Société québécoise d'initiative agroalimentaire (SOQUIA).

En 1996, Aliments Carrière réalise l'acquisition de l'usine Green Giant à Sainte-Martine, dont 75 % de la production est réalisée sous la marque bien connue du Géant vert.

APRÈS L'EXPANSION, LA VENTE

Dans la foulée de l'acquisition de l'usine Green Giant, Aliments Carrière signe des ententes de distribution avec les géants US Food Services et Sysco.

« L'usine de Saint-Césaire, où on produisait 500 000 caisses de conserves à la fin des années 70, produisait maintenant 5 millions de caisses.

« En 1996, la vente de Provigo à Loblaw nous a obligés à devenir canadiens. On voulait garder l'enseigne Provigo et prendre de l'expansion dans le reste du Canada. On a alors acheté des usines de transformation en Ontario, à Strathroy et à Windsor », rappelle Marcel Ostiguy.

De 1987 à 2007, Aliments Carrière est passée d'une seule usine à Saint-Césaire avec un chiffre d'affaires annuel de 5 millions à une quinzaine d'usines au Canada qui réalisent des ventes de 350 millions.

La division de légumes congelés Arctic Gardens d'Aliments Carrière a plus de 50 % du marché québécois et 10 % du marché canadien. L'entreprise québécoise absorbe l'équivalent de 75 000 acres de culture de légumes au Québec et en Ontario.

« Comme bien des entreprises familiales, le contrôle de la famille Ostiguy dans Aliments Carrière était partagé entre huit frères et soeurs.

« Certains membres de la famille qui n'étaient pas impliqués dans les opérations de l'entreprise étaient rendus au moment de leur vie où ils souhaitaient vendre leurs actions.

« Je leur ai alors dit que j'allais regarder la vente, mais que je n'allais pas vendre l'entreprise », se souvient Marcel Ostiguy.

De fait, le PDG d'Aliments Carrière ne souhaite surtout pas mettre l'entreprise à l'encan pour se retrouver dans la situation où un fonds d'investissement américain mette le paquet pour l'acquérir et décide par la suite de la vendre morceau par morceau.

« On voulait vendre, mais on voulait surtout assurer la pérennité de ce qu'on avait bâti. »

- Marcel Ostiguy

La famille Ostiguy détenait plus de 40 % d'Aliments Carrière, la SGF (par l'entremise de la SOQUIA) avait 28 % des actions, Desjardins, 14 %, et les cadres de l'entreprise, 14 %.

Aliments Carrière avait fait connaissance deux ans plus tôt avec le groupe français Bonduelle qui avait racheté une partie des actions que Desjardins et certains cadres détenaient dans Aliments Carrière.

Bonduelle est à l'époque (et encore aujourd'hui) le numéro un de la transformation des légumes en Europe avec plus de 80 % de la production en France et des revenus supérieurs à 1,5 milliard.

« Les discussions avec Bonduelle ont duré près de trois ans. J'ai été en Europe, ils sont venus chez nous et j'ai vu qu'ils voulaient construire une nouvelle entreprise Bonduelle des Amériques. Il n'y avait pas de danger qu'ils rapatrient la production de certaines usines », souligne Marcel Ostiguy.

En 2007, la transaction est officialisée. Bonduelle achète toutes les actions du groupe Aliments Carrière.

« On ne saura jamais si on a obtenu le maximum, mais on a eu la certitude d'avoir vendu l'entreprise à quelqu'un qui allait continuer de la faire progresser », insiste Marcel Ostiguy.

Preuve que l'avenir lui aura donné raison, depuis 2007, Bonduelle des Amériques a réalisé trois acquisitions aux États-Unis et a haussé à 600 millions ses revenus nord-américains.

Le groupe qui employait 750 employés permanents et 2000 saisonniers compte aujourd'hui sur des effectifs de 1000 personnes à temps plein et 3000 saisonniers.

DU GOLF POUR LA RELAXATION

Marcel Ostiguy l'admet d'emblée, sa vie d'entrepreneur et de consolidateur de l'industrie de la transformation de légumes au Canada ne lui a guère laissé de temps pour s'adonner au golf, même de façon très sporadique. C'est à 55 ans qu'il s'est mis de façon plus sérieuse à la pratique de ce sport qu'il associe avant tout à un moment de relaxation et de socialisation. Depuis qu'il a pris sa retraite, donc depuis 2007, Marcel Ostiguy joue plus souvent et il est notamment membre au club de golf Saint-Hyacinthe où il s'exerce deux fois par semaine, dont chaque samedi matin avec de vieux amis de collège.