Le détaillant canadien HBC, propriétaire des magasins La Baie, a décidé de miser sur le marché haut de gamme pour s'incruster davantage sur le territoire américain en procédant à l'acquisition de la chaîne de magasins de luxe Saks. La Compagnie de la Baie d'Hudson débordera dorénavant à proximité des rives du fleuve Hudson, sur la prestigieuse 5e Avenue à New York.

Il est toutefois nettement plus probable que la transaction annoncée lundi se traduise de façon concrète dans un avenir plus ou moins rapproché par l'ouverture de quelques magasins américains Saks au Canada, plutôt que par l'inauguration prochaine de magasins La Baie en sol américain.

Il faut aussi préciser que lorsque l'on décrit le Groupe HBC comme un groupe de détaillants canadien, c'est davantage pour résumer d'où provient l'essentiel de ses opérations que pour circonscrire l'origine de ses propriétaires.

Le Groupe HBC est, rappelons-le, la propriété de la famille américaine Baker, dont le père Robert et le fils Richard ont fait fortune dans le secteur de l'immobilier commercial aux États-Unis.

La famille Baker et son fonds immobilier NRDC Equity se sont lancés en 2006 dans le commerce de détail en réalisant l'acquisition de la chaîne américaine Lord&Taylor, qui exploitait 46 grands magasins haut de gamme, mais de catégorie moins luxueuse que la prestigieuse enseigne Saks.

Simultanément, NRDC prenait en 2006 une participation minoritaire de 20% dans la Compagnie de la Baie d'Hudson, qui était alors en pleine restructuration.

En 2008, Richard Baker a fait l'acquisition, pour un peu plus de 1 milliard de dollars, du solde restant de 80% de HBC qui comptait à l'époque 94 magasins La Baie, 281 Zellers, 60 Déco Découverte et 151 magasins Fields, à travers le Canada.

On connaît la suite. Par une série de transactions, HBC s'est progressivement départie de la majorité de ses propriétés, cédant notamment les baux de 220 de ses magasins Zellers au groupe américain Target en contrepartie d'un montant de 1,8 milliard.

Au moment de faire son entrée en Bourse, en 2012, HBC n'exploitait plus que les magasins La Baie, Déco Découverte et Lord&Taylor aux États-Unis.

L'acquisition au coût de 3 milliards de la prestigieuse enseigne Saks et ses 41 magasins aux États-Unis va permettre au Groupe HBC de gonfler de plus de 3 milliards ses revenus annuels, qui vont dépasser les 7 milliards, tout en mettant la main sur un parc immobilier évalué à plus de 1,5 milliard.

Le Groupe HBC, qui avait jusqu'à maintenant pour principal partenaire financier le Fonds souverain d'Abou Dhabi, prévoit émettre pour 1 milliard de dollars de nouvelles actions dont les trois quarts seront souscrites auprès de la caisse de retraite des enseignants de l'Ontario (Teachers') et de West Face Capital, un fonds d'investissement canadien.

Une première malheureuse

Ce n'est pas la première fois qu'un groupe identifié comme canadien tente de percer le marché du détail aux États-Unis, et plus particulièrement celui des grands magasins.

En 1986, Robert Campeau, président de Campeau Corporation, qui faisait lui aussi dans le développement immobilier comme Richard Baker, avait surpris tout le milieu corporatif américain en lançant une offre publique d'achat sur le groupe Allied Stores.

Sans financement conséquent, dopé par la mode de l'époque des achats par effet de levier financés par des obligations de pacotille, l'entrepreneur franco-ontarien avait acquis la chaîne de grands magasins Allied Stores au prix de 3,6 milliards.

Cette entrée spectaculaire de Robert Campeau dans le monde du détail aux États-Unis, dans ce qui était la plus grosse acquisition d'une entreprise américaine par une société canadienne, n'avait pas suffi.

Il est revenu à la charge deux ans plus tard pour réaliser cette fois l'acquisition de Federated Stores et de la chaîne de grands magasins iconiques Bloomingdale's, au prix de 6,6 milliards. Une autre transaction entièrement financée par l'émission d'obligations de pacotille.

En moins de deux ans, Robert Campeau et les actionnaires de Campeau Corporation ont été totalement lessivés par la faillite des deux groupes de magasins, dans un dédale de transactions qui visaient à renflouer Campeau Corporation pour lui permettre de rembourser seulement les intérêts que portaient ses titres de dette.

Cet épisode chaotique et peu reluisant de l'histoire corporative canadienne ne se compare en rien à la transaction que vient de réaliser le Groupe HBC, mais il nous rappelle combien il est difficile de chercher à importer des concepts entre des marchés différents.

En 1998, tous les analystes prévoyaient que Campeau allait ouvrir des Bloomingdale's au Canada. On prétendait même que le premier commerce allait ouvrir sur les terrains du champ de courses de Blue Bonnets que Campeau possédait à Montréal.

HBC a déclaré lundi vouloir ouvrir 5 grands magasins Saks au Canada dans les prochaines années ainsi que 25 magasins Saks à prix réduit. Il faudra d'abord que le groupe digère la transaction avant de se promener avec un sac Saks dans les rues de Vancouver, Toronto ou Montréal.