Ce sujet n'intéressait pas les Québécois il y a quelques années, mais les choses changent, si je me fie aux réactions des lecteurs. Enfin !

Je dis « enfin » parce que le propos de ma chronique de la semaine dernière qui s'intitulait « 1+1 = 3 ? Pas au Québec » est fondamental pour notre niveau de vie. Il y a 25 ans, on se préoccupait surtout d'emplois, car le chômage était stratosphérique ; aujourd'hui, c'est la productivité qui doit être au coeur de nos efforts collectifs.

Dans ma chronique, je rappelais nos carences de productivité et de synergie. Il ne s'agit pas de travailler comme des fous, disais-je, mais de le faire plus intelligemment en investissant dans de meilleurs outils et en innovant.

Que vient faire le fabricant de manteaux Canada Goose dans cette affaire ? Ou même Kanuk ? J'y viens, j'y viens, vous verrez.

Changer notre structure économique

Pour augmenter la productivité globale, il ne suffit pas d'accroître celle de chacune de nos entreprises, m'ont fait valoir des lecteurs ; il faut aussi faire migrer notre économie vers des secteurs à plus forte valeur ajoutée.

J'explique. Le Québec avait une productivité du travail de 48 $ par heure travaillée en 2017, et l'Alberta, de 78 $ (il s'agit de dollars de 2012). Le grand écart s'explique surtout parce que l'Alberta tire sa production d'une ressource dont l'exploitation ajoute beaucoup de valeur au PIB - le pétrole -, ce que le Québec n'a pas.

L'important n'est donc pas tant le niveau absolu de productivité, mais sa croissance sur quelques années.

Le président de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, Michel Leblanc, milite pour un rehaussement de notre structure économique. Oui, m'explique l'économiste, il faut encourager nos entreprises à investir et à former leurs employés, mais il faut aussi migrer vers des secteurs à plus forte valeur ajoutée, grâce à « des politiques publiques ou des décisions concertées des grands donneurs d'ordres ».

Et Canada Goose dans tout ça ? Encore un peu de patience.

Pierre Larocque, de Québec, explique les choses simplement. « Prenons l'exemple d'un bûcheron qui coupe une épinette ou encore un chêne. Même bûcheron, même scie, même transport, mais, dans le cas du chêne, la valeur du produit est quintuplée. »

En somme, le Québec doit créer et attirer des entreprises à forte valeur ajoutée et délaisser, autant que possible, celles qui créent peu de valeur, tout en s'assurant, bien sûr, que la main-d'oeuvre suit l'évolution.

Ce qui m'amène à Canada Goose. Montréal est-elle vraiment gagnante à attirer une entreprise dans le secteur du vêtement, dont les salaires demeurent relativement modestes ? Surtout dans un contexte où il y a pénurie de main-d'oeuvre dans ce secteur ?

Comprenez-moi bien, j'ai tout le respect du monde pour l'entreprise, et je conçois que tous ne peuvent pas être ingénieurs. Seulement, je m'interroge : est-il encore avantageux de former des employés pour ce genre de travail ?

Un facteur important joue en faveur de Canada Goose et de Kanuk : ils fabriquent des manteaux haut de gamme. L'intérêt pour de telles entreprises réside dans l'apport technologique de leurs vêtements (matériaux innovants, etc.) et dans la recherche qu'elles font sur place, le cas échéant, notamment.

C'est toutefois loin d'être le cas du secteur du vêtement en général. Ce secteur est l'un des moins productifs (19 $ par heure travaillée), selon les données de Statistique Canada. Encore une fois, la productivité y est faible parce que la valeur ajoutée est petite, et non parce que les ouvriers y sont paresseux. En comparaison, la fabrication de produits métalliques a une productivité de 44 $ par heure travaillée, et celle des télécommunications atteint 148 $ par heure travaillée.

Le secteur de la santé

La productivité touche aussi les services publics, bien que dans ce cas, comme il n'y a pas de rentabilité, une hausse de la production par heure travaillée peut découler d'une augmentation des salaires payée par les contribuables, tout simplement, ce qui n'est pas l'objectif en soi. Tout de même, il faut vouloir aider les prestataires à offrir des services plus nombreux et de meilleure qualité pour un même coût.

À ce sujet, l'urgentologue François Paquet nous exprime ses frustrations, notamment en ce qui concerne l'informatique. Le médecin déplore les serveurs trop lents « datant de l'âge de pierre » dans les hôpitaux, des bogues non corrigés et le service informatique sans ingénieur de réseau. « Multiplié par le nombre de visites par médecin/établissement, ça fait chuter la productivité ! », écrit-il, exaspéré.

« Par exemple, à l'urgence, il faut parfois 10 minutes pour "l'ouverture" de notre session informatique, et ne vous trompez pas avec le minimum de 3 mots de passe (chaque application : dossier, radiologie, etc.) qui nécessite un changement [tous les] 3 mois. Ne l'oubliez pas ! [...] De plus, nous avons un système de dossier antérieur informatisé, très bien, mais il faut souvent de 30 à 45 secondes pour changer de page. Et pendant ce temps, je ne peux rien faire », m'écrit-il.

La beauté dans tout ça ? Les Québécois semblent se préoccuper de la productivité, maintenant, et si on prend l'exemple de l'emploi, il est certainement possible d'améliorer la situation grâce à de bonnes politiques publiques.