Quatre mots qui n’ont pas manqué de marquer nos éditorialistes en cette année, disons, particulière

Présentiel

Ce mot sert à décrire ce qui autrefois, à une époque pré-COVID, allait de soi : une rencontre entre deux ou plusieurs personnes se passe forcément dans un espace partagé où on peut se saluer, se serrer la main et peut-être même, quelle horreur, se faire la bise. Avec le confinement, plus rien n’est acquis. Il a fallu distinguer entre les « vraies » rencontres et les rencontres par écran interposé. Au début, le mot « présentiel » nous écorchait les oreilles. Encore plus son antonyme, « distanciel ». Puis on s’est peu à peu habitués. Les chroniqueurs qui pestaient contre ce terme ont commencé à l’utiliser avec des guillemets (pour bien montrer qu’ils le font à contrecœur), puis par le laisser tomber ici et là sans plus y porter attention. Les experts se sont penchés sur la meilleure façon de le décliner : faut-il dire un cours présentiel ou en présentiel ? Une présentation est-elle distancielle ou à distance ? Puis, l’usage du terme « présentiel » s’est peu à peu banalisé, on ne le dit plus seulement par dérision, en montrant bien qu’on ne l’aime pas, mais tout simplement pour transmettre une information factuelle. Reste à savoir si ce mot survivra au-delà de la pandémie. Faites vos paris. — Agnès Gruda

Le mot qui commence par « N »

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

L’Université d’Ottawa

Ce mot extrêmement chargé, qui a servi au fil des siècles à dénigrer les Noirs, n’a rien perdu de son côté explosif. La professeure de l’Université d’Ottawa Vershuka Lieutenant-Duval l’a appris à ses dépens lorsqu’elle l’a prononcé en classe à des fins purement pédagogiques. Résultat : une suspension temporaire et une dénonciation publique du recteur de l’université. À Concordia, la professeure de cinéma Catherine Russell a déclenché une controverse similaire lorsqu’elle a mentionné le titre du livre de Pierre Vallières, Nègres blancs d’Amérique, en classe. Que ce mot soit odieux et blessant, tout le monde le conçoit. Mais en faisant complètement fi du contexte dans lequel il est prononcé et des intentions de ceux qui le prononcent, on réagit de façon rigide et idéologique. Ces évènements ont montré les malheureuses dérives de ce qu’on appelle la « culture de l’effacement », ou cancel culture, qui prône une rectitude politique supprimant toute possibilité de débat. Bien sûr, les objectifs sont nobles. Mais les moyens utilisés finissent par accentuer la polarisation et encourager l’exclusion plutôt que l’inclusion. Et si on se battait contre les vraies injustices plutôt que de monter aux barricades pour des interprétations rigoristes de règles édictées par une frange de militants qui semblent avoir perdu de vue leurs propres objectifs ? — Philippe Mercure

Aplatir

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Le directeur national de santé publique, Horacio Arruda, en juin dernier

On savait déjà qu’il fallait aplatir la viande hachée pour en faire des boulettes de burger ; on a appris cette année qu’il faut aussi « aplatir la courbe » de la COVID-19. Gestes à l’appui, le directeur de santé publique, Horacio Arruda, nous a incités à écraser l’évolution des cas, des hospitalisations et des décès, qui tend à monter de façon exponentielle sans interventions rigoureuses. Aplatir la courbe, c’est empêcher que trop de malades souffrent de la COVID-19 en même temps, ce qui engorge les hôpitaux et empêche de prodiguer les meilleurs soins, à eux et aux autres malades. Au mois de mars, les médecins italiens qui devaient choisir à quel patient attribuer les respirateurs dans des hôpitaux débordés ont marqué les esprits et ont aidé à comprendre le concept. Les statistiques sur la progression de la COVID-19 sont bientôt devenues des chiffres suivis chaque jour avec attention par la population, puisqu’elles influencent directement nos libertés et nos modes de vie. Malheureusement, après avoir réussi à aplatir la première vague, le Québec a vu la deuxième vague déferler. On peut se consoler en se comparant. Aux États-Unis, la courbe n’a jamais été aplatie, si bien qu’on ne distingue même pas vraiment de creux entre la première et la deuxième vague. — Philippe Mercure

QAnon

PHOTO TED S. WARREN, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Une pancarte à l’effigie de QAnon, vue dans une manifestation à Washington en mai dernier

Vous nous direz que QAnon existe depuis plus de trois ans et vous aurez raison. Mais c’est au cours de la dernière année que ce groupe qui fait passer les platistes (convaincus que la Terre est plate) pour des enfants de chœur a véritablement connu son heure de gloire. Ses théories délirantes, qui tournent autour du fait qu’il existerait une secte mondiale composée de pédophiles satanistes et que Donald Trump est un héros qui va la mettre en déroute (oui, vous avez bien lu !), ont fait des adeptes partout dans le monde en 2020. Aux États-Unis, c’est encore plus sérieux. Le freak show s’est emparé du réel. Une partisane de ce mouvement a été élue en novembre. Marjorie Taylor Greene va faire son entrée au Congrès américain le mois prochain, au grand plaisir du président sortant. Car bien sûr, Donald Trump a déjà eu des bons mots pour QAnon et ses membres. Ce sont, à ses yeux, « des gens qui aiment leur pays ». Misère… — Alexandre Sirois