Présentement, il semble que l’apparition de la COVID-19 nous ait fait prendre conscience de certaines choses. Notamment que la nature déjoue tout processus logique et qu’elle se cantonne dans un enchevêtrement d’interactions qui n’a rien à voir avec la raison, l’intelligence ou la logique.

Le mot évolution que l’on utilise fréquemment en parlant de la nature ne doit aucunement être pris dans son sens littéral. La nature ne répond à aucun schéma préétabli et n’a pas de buts ou d’objectifs précis. En fait, elle ne suit aucun programme. Et dans son fonctionnement, cette nature nous ignore complètement. Elle n’a besoin ni de nous ni de notre intelligence.

Aussi celle-ci se retrouve soudainement au banc des accusés. Et de quoi l’accuse-t-on exactement ? D’être ce qu’elle a toujours été : une faucheuse de vies. Sauf que cette fois-ci, elle l’est sans notre autorisation !

Que l’on meure à la fin de notre existence nous semble bien normal. Que l’on meure d’une longue maladie, après que tous les soins médicaux nous ont été prodigués, l’est aussi. Mais que l’on meure comme ça, gratuitement sans que l’on puisse rien y faire, voilà qui, en 2020, dépasse l’entendement. Nous ne sommes quand même plus au début du XXe siècle, à l’époque où l’on peinait à endiguer les pandémies.

Notre foi en la science, en la médecine et en l’intelligence artificielle en prend un dur coup ! Pourtant l’humain n’a fait qu’égratigner la surface de la Terre et l’on sait qu’il disparaîtrait complètement demain que toute trace de lui s’effacerait en quelques milliers d’années.

D’ailleurs, notons que depuis l’apparition de la vie sur Terre, il y a 3,8 milliards d’années, les géologues considèrent qu’il y a eu pas moins de cinq périodes où, pour de multiples raisons, la vie elle-même fut menacée de disparaître. À chaque fois, heureusement, malgré ces périodes dites d’extinction de masse, la vie a réussi à perdurer, mais, soulignons-le, au coût de transformations majeures qui s’échelonnèrent sur environ 10 millions d’années !

Dans son livre Éloge de la fuite, le grand biologiste Henri Laborit décrivait ainsi notre situation comme être vivant : « Solide comme un roc, le caillou demeure, alors que les êtres, instables et en eux-mêmes sans cesse recommencés, naissent, grandissent et meurent pour retourner, atomes et molécules n’appartenant plus à personne, au pool commun de la matière organisée. D’autres êtres s’en empareront pour construire leur édifice. Mais de la naissance à la mort, aucune de ces pierres ne restera définitivement en place et elles seront sans cesse renouvelées. » (éd. Robert Laffont, 1976, p. 179)

Comprenons que lorsqu’un virus ou une bactérie envahit notre organisme, lui aussi, tout comme nous, il veut vivre ! 

Qu’on soit microbe, bactérie, anticorps, plante, insecte, animal ou humain, peu importe, du point de vue du vivant, tout est du pareil au même.

Là-dessus, la nature n’a pas de préférences ni de scrupules éthiques. Nous ne faisons pas exception à la règle : comme toutes les espèces, nous sommes nous aussi, en tant qu’êtres faits de chair et d’os, pris dans le grand bac à recyclage qu’est la vie.

Aussi, la suprématie récente de l’espèce humaine sur Terre est un leurre dont il faut se méfier… Car combien de temps encore pareille suprématie pourra-t-elle s’exercer sans créer un déséquilibre au sein de la nature pour qui, répétons-le, il n’y a ni héros ni peuple élu, mais seulement des éléments climatiques et chimiques satisfaisants pour maintenir la vie ?

La complexité humaine

Tant qu’une espèce est en situation de survivre et de se reproduire, elle le fera. Par exemple, dans des circonstances très favorables, certains insectes proliféreront sans arrêt, et cela, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien pour les nourrir : l’espèce disparaîtra alors, victime de son trop grand succès sur les autres espèces ! Sans vouloir dramatiser, au moment où la Terre se meurt de nos excès, il est légitime de se demander si ce n’est pas le sort qui nous guette.

Mais, diront plusieurs, comparer l’humain à l’insecte ne tient pas la route. La grande complexité de cette machine merveilleuse qu’est l’humain n’a rien à voir avec la simplicité d’un insecte. Ne serait-ce que par son cerveau, l’humain échapperait aux contingences de l’évolution naturelle des espèces…

Mais en sommes-nous si sûrs ? Dans son livre L’éventail du vivant (1997), le grand paléontologue américain Stephen Jay Gould explique qu’il est faux de penser que le plus complexe mène à plus de stabilité ou de sécurité pour une espèce donnée. Au contraire, illustre-t-il, certaines bactéries, beaucoup moins complexes que les dinosaures, survivent encore aujourd’hui alors que les dinosaures sont disparus depuis très longtemps.

Et le biologiste britannique Matt Ridley de nous donner en terminant cette leçon d’humilité : « Les êtres humains sont uniques, certes. Ils sont pourvus de la machine biologique la plus compliquée qui soit sur la planète, juchée entre leurs deux oreilles. Mais la complexité n’est pas tout, et ce n’est pas le but de l’évolution. Toutes les espèces sont uniques. La singularité est une denrée pléthorique. » (Génome, éd. Robert Laffont, 2001, p. 36-37)