Pourquoi diable François Fillon plutôt qu'Alain Juppé ? Pourquoi choisir un politicien sans prestance plutôt que celui qui est depuis longtemps l'homme politique le plus populaire dans les sondages, le seul à pouvoir recueillir les voix de la gauche modérée à la présidentielle de l'an prochain ?

Tel est le choix surprenant que viennent de faire les électeurs qui ont participé à la primaire de la droite française. Contre toute attente, l'ancien premier ministre et souffre-douleur de Nicolas Sarkozy est le grand vainqueur du premier tour, avec 44 % des voix contre 28 % pour Juppé, Nicolas Sarkozy (20 %) ayant été forcé quant à lui de s'éclipser, ce qu'il a fait le soir même avec beaucoup de grâce et de dignité.

Il serait fort étonnant que M. Juppé puisse faire tourner le vent en sa faveur d'ici au second tour, dimanche prochain.

Non seulement l'écart est-il profond - M. Fillon l'a emporté partout au pays sauf dans le Sud-Ouest, la région environnant le fief du maire de Bordeaux -, mais M. Fillon récoltera le soutien des électeurs de Nicolas Sarkozy, qui lui a d'ailleurs donné son appui.

D'après les sondages réalisés à la sortie des urnes, 29 % des électeurs de cette primaire ouverte étaient de gauche ou « sans préférence » - une proportion substantielle mais pas assez forte pour contrer la majorité qui provenait des rangs du parti Les Républicains (LR, anciennement l'UMP)... Elle a fait pencher la balance contre Alain Juppé, tout en préférant la personnalité calme et discrète de François Fillon au personnage excessif et clivant de Nicolas Sarkozy.

Malgré l'appellation officielle de la primaire, qui se voulait « de droite et du centre », ce fut donc un vote de droite, et de droite dure par-dessus le marché, François Fillon étant sous ses airs falots un réactionnaire à tout crin sur le plan social, et un « Thatcher français » (dixit L'Obs) sur le plan économique (il veut abolir un demi-million de postes de fonctionnaires).

Il est prompt à agiter l'épouvantail islamiste. Il veut ramener la déchéance de la nationalité, refuser l'entrée du territoire aux jeunes Français partis combattre avec le groupe État islamique, promulguer une loi interdisant le burkini... Il considère que « l'invasion sanglante de l'Islam dans notre vie quotidienne pourrait annoncer une troisième guerre mondiale », et il a violemment heurté les musulmans et les juifs en déclarant que les rites halal et casher sont des traditions « qui ne correspondent plus à grand-chose ».

Force est de constater qu'Alain Juppé, qui fut pourtant premier ministre d'un gouvernement de droite sous la présidence de Jacques Chirac, était trop « à gauche » pour les militants de LR.

Ses positions modérées sur les musulmans et la laïcité lui ont valu le pseudonyme assassin de « Ali Juppé » sur les réseaux sociaux.

Le fait que M. Juppé ait reçu le soutien de François Bayrou, l'ancien chef d'un petit parti centriste, lui a beaucoup nui dans la mouvance LR, où l'on ne pardonne pas à M. Bayrou d'avoir « fait battre » la droite à la présidentielle de 2012 (M. Bayrou avait obtenu 9,13 % des voix au premier tour d'une élection que François Hollande a remportée par une infime majorité).

Enfin, il est possible qu'Alain Juppé, un homme réservé qui peut être sec et cassant, ait été vu comme un politicien hautain, trop sûr de lui et de sa valeur (qui est réelle), alors que François Fillon, avec ses mines de chien battu, n'irritait personne.

L'âge n'a guère dû jouer dans ce choix, car M. Fillon, à 62 ans, n'a que huit ans de moins que M. Juppé... et l'on ne peut certainement pas voir en lui un homme du renouveau ! Politicien professionnel, il traîne depuis 1981 dans le paysage politique (il a été député, sénateur, ministre dans plusieurs gouvernements). Ses adversaires ne se priveront pas de lui demander pourquoi il n'a réalisé aucun des projets qu'il agite aujourd'hui quand il dirigeait le gouvernement, de 2007 à 2012.

François Fillon impressionnait si peu qu'il y a encore un mois, les sondages ne le créditaient que de la quatrième place parmi les sept candidats à la primaire. Ce profil bas l'a servi, dans la mesure où il a été moins attaqué par ses adversaires que les meneurs présumés (Alain Juppé et Nicolas Sarkozy). Deux autres facteurs ont permis son envol.

Il s'est bien tiré d'affaire aux débats télévisés précédant la primaire, en restant serein alors que ses adversaires s'écharpaient à qui mieux mieux. Et il a bénéficié, en fin de course, du soutien déterminant de l'organisation « Sens commun », créée dans la foulée des grandes manifestations qui ont déferlé sur la France pour protester contre la promulgation du mariage homosexuel.

Ce catholique fervent est « personnellement » contre l'avortement. Il était opposé au mariage gai en 2013 mais aussi, en 1999, à l'union civile (le PACS) qui permettait aux couples de même sexe de bénéficier d'une protection financière et sociale. Il entend interdire non seulement la GPA (grossesse pour autrui) mais aussi la PMA (procréation médicalement assistée) pour les femmes seules ou les couples lesbiens, de même que l'adoption plénière par des parents homosexuels.

Cette semaine, François Fillon sera examiné de plus près que durant la campagne, mais l'ampleur de son avance laisse croire qu'il triomphera au second tour.