Quelques jours avant le 8 novembre, le guide suprême iranien, Ali Khamenei, a vanté publiquement la franchise de Donald Trump, ce candidat qui ne craint pas de dire ce qu'il pense. Pas comme ces démocrates qui « coupent les têtes avec du coton » - proverbe iranien évoquant la prétendue hypocrisie du parti de Hillary Clinton.

Oui, vous avez bien lu. Le leader de l'aile ultraconservatrice à Téhéran s'est montré favorable au candidat républicain, même si celui-ci considère l'Iran comme le mal incarné et veut déchirer le traité nucléaire qui a levé les sanctions économiques infligées aux Iraniens.

Pendant ce temps, l'aile modérée du régime, incarnée par le président Hassan Rohani, favorisait l'élection d'Hillary Clinton.

En brandissant ses menaces contre Téhéran, Donald Trump vise un régime qu'il perçoit comme radical et dangereux. Pourquoi donc les dirigeants iraniens les plus radicaux se réjouissent-ils de sa victoire ?

En gros, parce que le monde n'est pas un épisode de Homeland. Il n'est pas divisé en deux, entre gentils et méchants. Ali Khamenei et sa clique avaient au moins trois bonnes raisons de miser sur Donald Trump, explique Houchang Hassan Yari, politologue au Collège militaire royal du Canada.

D'abord, parce que le discours anti-establishment de Donald Trump confirme la propagande iranienne, qui décrit Washington comme la capitale d'un système politique pourri.

Ensuite, parce que l'accord nucléaire a renforcé la position du président Rohani et que son éventuelle abrogation jouerait en faveur des conservateurs.

Enfin, parce que les prises de position de Donald Trump sont susceptibles de jouer contre l'ennemi juré de Téhéran, l'Arabie saoudite. Ne serait-ce que sur le terrain syrien, où le président désigné s'est montré favorable à Moscou et à Bachar al-Assad - deux alliés de l'Iran.

En haussant le ton face à un Iran diabolisé, Donald Trump risque en réalité d'aider sa faction la plus fanatique. Bienvenue au royaume des paradoxes et de la grande complexité, où le président Trump est entré avec la légendaire délicatesse d'un éléphant dans un magasin de porcelaine.

Il risque d'y découvrir qu'il y a parfois loin de l'intention à la réalité. Il n'est même pas clair que l'accord nucléaire soit si facile à déchirer que ça. Les États-Unis ne sont pas seuls dans ce bateau.

Le texte a été signé par six pays (les cinq membres permanents du Conseil de sécurité et l'Allemagne). Donald Trump peut bien essayer de renier la signature de son prédécesseur. Mais que diront ses amis du Conseil de sécurité, dont plusieurs profitent de la levée des sanctions ? C'est le cas de la Russie, notamment, qui vend des systèmes de défense antiaérienne aux Iraniens.

Que fera Donald Trump quand son ami Vladimir lui dira de se calmer le pompon nucléaire et de se montrer un peu plus gentil avec Téhéran ? Les différentes couches de complexité l'amèneront-elles à mettre de l'eau dans son vin ? Parions que oui. Déjà, un de ses conseillers en matière internationale a laissé entendre que l'accord ne sera peut-être pas vraiment « déchiré », mais plutôt « amélioré ». À suivre...

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Au fil des briefings qu'il recevra d'ici son arrivée à la Maison-Blanche, Donald Trump découvrira un monde infiniment plus complexe que celui qu'il dessinait dans sa propagande électorale. Mises bout à bout, ses nombreuses déclarations restent terrifiantes.

S'il fallait résumer en quelques mots l'impact potentiel des politiques internationales annoncées par Donald Trump, on pourrait dire : montée des extrémismes.

À commencer par Israël, où la victoire de Donald Trump, qui a participé à la dernière campagne électorale de Benyamin Nétanyahou, a soulevé des cris de joie chez la droite radicale. Le président désigné a déjà offert au premier ministre israélien une rencontre en tête à tête. Au fil des entrevues, il avait aussi dit oui à la poursuite de la colonisation juive en Cisjordanie et au déménagement de l'ambassade des États-Unis de Tel-Aviv à Jérusalem.

En Israël, la droite radicale exulte. « Nous pourrons annexer, bâtir, imposer notre souveraineté, établir des faits accomplis et en finir avec le problème palestinien », s'est félicité Ariel Kahana, éditorialiste d'un site d'information pro-colonisation.

« L'ère de l'État palestinien est terminée », a renchéri le ministre de l'Éducation Naftali Bennett, ministre de l'Éducation et chef du parti Foyer juif. Après huit ans de tensions avec Washington, la droite israélienne pourra faire ce qu'elle voudra. Du moins, c'est comme ça que le message a été décodé. En retour, cela renforcera aussi les Palestiniens les plus radicaux, avec tous les risques de conflagration que cela implique.

Donald Trump a aussi envoyé quelques signaux susceptibles d'encourager les velléités impériales de Vladimir Poutine. Il n'a rien contre l'annexion de la Crimée. Il juge que l'OTAN est obsolète et n'est pas prêt à respecter automatiquement l'article 5 du traité qui assure à ses 28 membres une assistance militaire mutuelle. (Au fait, la dernière fois que cet article a été invoqué, c'était après le 11 septembre 2001, pour voler au secours... des États-Unis.)

Avec l'amitié qu'il voue au chef du Kremlin, et l'aide qu'il a reçue de lui pendant sa campagne électorale - fait confirmé cette semaine par le Kremlin -, Donald Trump voudra sûrement alléger les sanctions décrétées contre la Russie pour son ingérence en Ukraine. Bref, pour Moscou, ce sera le bar ouvert sans contrepoids digne de ce nom. Y compris en Syrie, où la Russie pourra continuer à massacrer joyeusement les civils au nom de la lutte antiterroriste.

De façon indirecte, la victoire de Donald Trump risque aussi d'encourager tous les partis d'extrême droite qui ont le vent dans les voiles en Europe. Déjà, Geert Wilders, chef du parti néerlandais Pour la liberté, s'est réjoui de voir que « le peuple américain a repris son pays ».

Le Front national a suivi. « En promettant de rétablir l'ordre et la souveraineté territoriale, face à l'immigration massive et incontrôlée, Donald Trump s'est fait le défenseur de l'Amérique profonde », écrit le secrétaire général du parti, Nicolas Bay.

« C'est la fin de la non-démocratie libérale », s'est réjoui Victor Orban, ministre autoritaire de la Hongrie.

Bienvenue dans la nouvelle confrérie des despotes populistes qui veulent mener le monde sous prétexte d'une démocratie restaurée. Mais qui risquent de le conduire à sa perte...