L'aile gauche du NPD s'est fait plaisir en fin de semaine en congédiant son chef, Thomas Mulcair, et en pavant la voie vers un sérieux virage à gauche, mais ce « retour aux sources du NPD », comme l'ont décrit certains ténors socialistes, n'est pas sans danger pour ce parti déjà fragilisé par la rude défaite électorale d'octobre dernier.

Que le NPD veuille se débarrasser de Thomas Mulcair, cela s'explique, mais les décisions prises sur le plancher du congrès d'Edmonton auront des répercussions beaucoup plus profondes que la seule course à la direction.

Au Québec, on parle souvent des « caribous » du PQ, ces indépendantistes pressés qui foncent parfois au mépris du danger, comme ces grands cervidés du Nord qui avancent obstinément vers un but, parfois vers leur propre mort.

Au NPD, on pourrait parler des « saumons », ces poissons qui s'obstinent à remonter le courant vers leur lieu d'origine, là où tout a commencé, y laissant parfois leur vie, victimes d'épuisement. Les « saumons » ont repris leur parti, dimanche, en chassant un chef qu'ils n'ont jamais adopté et qui voulait les amener trop à droite (en fait, au centre serait plus juste). Ils auraient pu le tolérer s'il avait pris le pouvoir, comme le laissaient présager les sondages du début de la campagne électorale, ou même s'il était demeuré chef de l'opposition, mais le plan Mulcair a échoué et ils lui ont montré la sortie.

La dynamique de ce congrès s'est avérée fatale pour Thomas Mulcair. En plus de l'aile gauche, qui souhaitait son départ, la forte délégation albertaine, favorable aux pipelines, n'a pas apprécié sa tiédeur par rapport au projet de TransCanada (Énergie Est). M. Mulcair a donc été victime à la fois d'une gauche soudainement décomplexée, qui réclame le sevrage complet du pétrole d'ici 30 ans et aucun nouvel investissement dans des pipelines, et par une base albertaine dite « pragmatique » qui défend les emplois liés à l'or noir.

Dans de telles circonstances, il pouvait difficilement survivre. En plus, une partie de la délégation du Québec le tenait responsable de la débâcle d'octobre et n'en voulait plus comme chef.

Où cela laisse-t-il le NPD qui, en plus de ne plus avoir de chef, est endetté de la dernière campagne électorale ? Ce congrès l'affaiblit dans deux provinces où il devrait pourtant être plus fort que jamais : au Québec et en Alberta.

Au Québec, bien des électeurs auront l'impression que le NPD leur tourne le dos en évinçant Thomas Mulcair.

En Alberta, on sent la fracture entre les néo-démocrates provinciaux, au pouvoir avec Rachel Notley, et l'aile gauche du NPD fédéral, qui a décidé en congrès d'étudier le manifeste Un bond vers l'avant (the Leap Manifesto, en anglais), un plaidoyer politique résolument à gauche (et antipétrole) pondu par des intellectuels torontois.

À la une de l'Edmonton Journal, hier matin, pas de titre sur Thomas Mulcair ou de photo de lui, mais plutôt cette manchette : « Federal NPD signals anti-oil "Leap" » (Le NPD fédéral fait un « Bond » antipétrole). « Le NPD fédéral a poignardé Rachel Notley dans le dos », écrit le chroniqueur Graham Thompson.

Ce congrès s'est d'ailleurs déroulé sous les yeux de l'état-major de Rachel Notley, dont son chef de cabinet, Brian Topp, principal adversaire de Thomas Mulcair lors de la course à la direction de 2012, après la mort de Jack Layton, et plusieurs ministres albertains.

Samedi, la première ministre albertaine, Rachel Notley, a prononcé un discours percutant devant le congrès du NPD, demandant aux délégués réunis dans la capitale de l'Alberta de penser aux centaines de milliers de personnes qui travaillent dans le secteur pétrolier. Sa ministre de l'Environnement, Shannon Phillips, a quant à elle qualifié le manifeste de « trahison » envers les Albertains qui ont voté pour le NPD. « Bien des gens peuvent dire bien des choses depuis leur perchoir au centre-ville de Toronto, mais nous, notre préoccupation, c'est de garder des emplois bien payés », a lancé la ministre Phillips.

Hier, Rachel Notley en a rajouté, disant que les auteurs du manifeste sont « naïfs, mal informés et durs d'oreille ». Beaux débats en perspective dans la grande famille néo-démocrate canadienne.

Le manifeste Leap n'est pas encore adopté par le NPD, mais il teintera assurément la longue campagne à la direction qui s'amorce. Pendant ce temps, Thomas Mulcair promet de garder la barre aux Communes, sans toutefois avoir la légitimité de se prononcer sur les futures orientations de son parti et pendant que le caucus sera absorbé par la course. Justin Trudeau l'avait déjà facile, imaginez un peu maintenant. Je ne suis pas convaincu que la formule du chef battu qui reste tout de même au moins un an, peut-être deux, soit viable.

Au sein du caucus, plusieurs noms circulent déjà : deux de Colombie-Britannique, Nathan Cullen (qui avait fini 3en 2012 et qui, m'a-t-on dit récemment, peaufine son français) et Peter Julian ; du Québec, Alexandre Boulerice (qui ne ferme pas la porte) ; et du Manitoba, Niki Ashton, jeune députée de 33 ans.

Parmi les députés battus en octobre, les noms de Megan Leslie (Nouvelle-Écosse) et de Paul Dewar (Ontario) circulent, mais Mme Leslie est apparemment heureuse au World Wild Life Fund et le français de M. Dewar ne passe pas le test.

Au congrès d'Edmonton, certains rêvaient d'un outsider comme Avi Lewis, fils de Stephen Lewis et conjoint de Naomi Klein, avec qui il a écrit le manifeste Leap. D'autres, nostalgiques, avançaient le nom de Mike Layton, fils de Jack, qui comme son père est conseiller municipal à Toronto. Catégorie « long shot », comme on dit dans les pools de hockey.

Enfin, certains suggéraient les noms de Rachel Notley et de son chef de cabinet, Brian Topp. La directrice des communications de Mme Notley a toutefois publié un tweet très tôt hier pour dire que cela n'arrivera pas.