La nervosité des marchés financiers est telle ces jours-ci que quelques gouvernements peuvent emprunter pour moins que rien.

Pour la première fois jeudi, Ottawa était en mesure de financer sa dette à un taux inférieur à 1 %, et ce, pendant 10 ans.

Les investisseurs et les spéculateurs sont prêts à prêter des milliards à Ottawa pendant une décennie en bas du taux d'inflation. En décembre, l'indice des prix à la consommation a progressé au rythme annuel de 1,6 %. La Banque du Canada a une cible d'inflation de 2 % à moyen terme, soit un horizon de deux ans. Depuis 1991, elle est généralement parvenue à contenir la marche des prix dans une fourchette de 1 % à 3 %.

À moins de 1 % (le taux était de 0,92 % en matinée avant de regagner quelques centièmes en cours de séance), le rendement réel (moins l'inflation) des obligations du Canada est donc négatif.

Ces transactions prennent place sur le marché secondaire.

Le calendrier des adjudications assurées par la Banque du Canada ne prévoit pas d'émission de 10 ans avant la deuxième moitié de mars. Les taux peuvent remonter quelque peu.

Toutefois, il est prévu qu'Ottawa emprunte dans les échéances de 2 et 30 ans d'ici là. Il trouvera sans doute des prêteurs très accommodants.

Depuis quelques jours, l'écart entre le rendement sur les obligations canadiennes de 10 ans et celui sur les bons du Trésor (Treasuries) américain excède les 60 centièmes.

Cet élargissement serait attribuable à la divergence des politiques monétaires des deux banques centrales. La ruée sur les obligations canadiennes a quelque chose de déroutant. Jimmy Jean, économiste principal chez Desjardins, note que le taux sur les obligations de deux ans est d'à peine 35 centièmes, sur le marché secondaire. De 2009 à 2014, alors que la Réserve fédérale américaine avait son taux directeur au plancher et imprimait de l'argent à la vitesse grand V, le taux moyen des Treasuries de 2 ans était de 53 centièmes.

Évidemment, pour le gouvernement Trudeau, qui s'apprête à présenter plusieurs budgets déficitaires, la faiblesse des taux tombe à point nommé.

Cette situation hors norme reflète la nervosité extrême des intervenants sur les marchés financiers. Jeudi, par exemple, l'indice MSCI monde est entré en territoire baissier (recul de 20 % depuis son sommet) pour la première fois depuis la crise de la dette souveraine en zone euro, en 2011 (lire le billet de Paul Durivage).

On cherche des refuges. L'or et les obligations d'un pays dont la dette est notée AAA restent les rares endroits pour se mettre à l'abri de la tempête financière actuelle.

Les provinces, qui devront emprunter beaucoup cette année, n'auront pas la même veine qu'Ottawa. Les écarts entre les taux des obligations de l'Ontario et du Québec et ceux du Canada sont anormalement élevés. Ils ne se bousculent pas ces jours-ci pour emprunter, vu le peu d'appétit des prêteurs pour leur dette.

Sans être brillants, les indicateurs économiques ne sont pourtant pas si vilains. Voilà peut-être pourquoi la correction présente du maître indice new-yorkais, le Standard & Poor's, reste encore assez éloignée du territoire baissier.

L'insécurité présente a quelque chose d'irrationnel. Il n'y a pas de mauvaise nouvelle en provenance de la Chine qui est en congé férié. Son ralentissement est connu depuis plusieurs semaines, tout comme l'entrée sur le marché pétrolier de la production iranienne.

Certes, plusieurs banques européennes suscitent des inquiétudes, mais les données récentes de la Banque centrale européenne indiquent qu'elles se sont remises à prêter. La zone euro est toujours en croissance économique. Dans son cas, un taux de 1 % est dans la norme.

Le Brésil et la Russie s'enfoncent dans une sévère récession, mais la croissance est soutenue en Inde.

Ce qui paraît nourrir l'inquiétude, c'est la perception que les banques centrales sont à court de munitions alors que les marchés financiers restent dopés à l'argent bon marché.

Les hésitations de la Réserve fédérale à poursuivre la normalisation de son taux directeur, pourtant exceptionnellement bas, font croire à beaucoup d'intervenants qu'il n'y aura aucune hausse cette année, malgré les propos contraires de sa présidente Janet Yellen devant le Congrès cette semaine. Cela attise la spéculation selon laquelle il y a risque grandissant de récession mondiale.

La prolifération des taux directeurs en territoire négatif de par le monde ranime le spectre de la déflation. La chute des prix du pétrole de plus de 25 % depuis le début décembre nourrit cette phobie.

Il faudra peut-être attendre la capitulation des producteurs américains de pétrole de schiste pour que se redressent les cours de l'or noir, seuls capables, semble-t-il, de renverser les craintes actuelles.