Mine de rien, le dollar canadien s'est éloigné de son creux du présent cycle. Le 19 janvier, notre monnaie n'achetait plus que 68,69 cents US.

Que s'est-il passé pour qu'il repasse depuis bien au-dessus du seuil psychologique des 70 cents américains ? En fait, trois éléments dont la chronologie et le poids relatif ne coïncident pas se conjuguent favorablement.

D'abord, dès le lendemain 20 janvier, la Banque du Canada a fait reculer une offensive des spéculateurs, qui accordaient une probabilité de 100 % à une nouvelle baisse du taux directeur avant le printemps.

La conviction des marchés financiers était telle qu'Ottawa était parvenu la semaine précédente à emprunter pour un an à un taux inférieur à un autre emprunt de trois mois réalisé le même jour.

On comprend désormais que les autorités monétaires canadiennes vont évaluer la portée économique du budget fédéral avant de juger s'il faut abaisser de nouveau le taux directeur. À 0,5 %, il se situe à un quart de point de pourcentage près de son creux historique atteint durant la Grande Récession. À ce stade, la politique fiscale peut se révéler plus efficace que la politique monétaire, si elle a du muscle.

Le deuxième élément, c'est l'or noir. À la mi-janvier, le baril de West Texas Intermediate est passé sous la barre des 30 $US pour la première fois depuis 2003. Il a oscillé autour de ce seuil psychologique qu'il a même refranchi mardi avant de remonter. Ce va-et-vient pourrait continuer encore quelque temps, bien qu'une nouvelle débandade paraisse peu probable.

Or, la valeur du dollar canadien faiblit quand le pétrole recule et vice-versa. En 2012, quand le huard s'échangeait au pair avec le billet vert, le gouverneur de la Banque du Canada de l'époque Mark Carney s'en était pris aux tenants de la thèse du Mal hollandais. Selon cette théorie, l'augmentation de production d'hydrocarbures tend à tuer le secteur manufacturier d'un pays puisqu'il valorise rapidement sa monnaie.

Le gouverneur y soutenait que l'or noir expliquait alors la moitié de l'appréciation du huard.

Presque aussi important était le comportement du dollar américain. À l'époque, celui-ci était en chute libre, à la fois parce que les États-Unis étaient le premier importateur d'or noir et parce que la Réserve fédérale activait énergiquement sa planche à billets.

La planche a été stoppée à la fin de 2014 alors que le huard valait encore plus de 90 cents US. Janvier 2015, la Banque du Canada choisissait d'abaisser son taux directeur alors que tout le monde ou presque pariait sur un statu quo prolongé et sur l'imminence d'une première hausse en sept ans du taux des « Fed Funds ».

Après moult hésitations, la Fed est passée à l'action en décembre au moment où l'or noir entreprenait sa deuxième glissade. Dans les deux premières semaines de janvier, il a perdu 20 % de sa valeur et le huard, quelques précieux cents d'équivalence au moment où bien des Canadiens planifiaient leurs vacances au soleil.

Depuis toutefois, les signes d'un ralentissement de l'économie américaine se multiplient. La force du billet vert mord en particulier le secteur manufacturier, atténue toute velléité inflationniste et détériore le solde commercial.

Voilà pourquoi les intervenants sur les marchés financiers doutent de plus en plus d'une deuxième hausse du taux directeur le 16 mars prochain.

Cela rend un peu moins attrayant le billet vert pour l'instant.

Il va néanmoins rester une monnaie forte. Aucune autre banque centrale importante n'indique la moindre intention d'un resserrement monétaire.

Les marchés émergents sont fragiles, de grandes économies comme le Brésil et la Russie sont plongées dans une récession profonde tandis qu'on mesure encore mal l'ampleur du ralentissement chinois. Tout cela est de nature à réveiller les réflexes des détenteurs de capitaux de parquer leurs billes dans les bons du Trésor américain.

Augmenter le taux directeur dans ces circonstances peut attiser le besoin de refuge et augmenter le risque d'un dérapage mondial, redouté par le Fonds monétaire international depuis des mois.

Les membres de la Fed en sont conscients. Le resserrement américain sera lent. Dans les circonstances, le dollar canadien a peut-être déjà touché son creux.