(Note de la rédaction: l'article suivant a été modifié après sa publication initiale pour attribuer le crédit à des sources externes) Je vais vous parler d'un sujet pas rigolo : la mort. Et surtout de ce qui advient après.

Pourquoi aborder ce sujet en ce jeudi de février ? Parce que le monde change, et les rites funéraires aussi.

Le gouvernement Couillard étudie en ce moment le projet de loi 66, qui risque de bouleverser les pratiques funéraires. Cela ne devrait laisser personne indifférent parce que s'il y a une certitude dans la vie, c'est bien qu'on va mourir un jour.

Au coeur de ce projet de loi, il est question de reconnaissance juridique et de dispersion des cendres. Mais, pour vous et moi, il s'agit plutôt d'amour et de restes humains (Love and Human Remains), comme le titre d'un film de Denys Arcand.

Car si la crémation était à peu près inexistante au Québec il y a 35 ans, aujourd'hui, c'est l'exposition dans un cercueil et la mise en terre dans un cimetière qui se fait de plus en plus rare. Plus de 70 % des gens optent pour l'incinération. Et après ? Après, on peut conserver les cendres dans une urne, les disperser dans un cours d'eau, les enterrer ou les entreposer, on peut les mêler à des racines d'arbres et les enfouir dans le jardin ou en mettre une petite partie dans un pendentif.

Guy Laliberté, avec son projet Pangéa, souhaite aussi redéfinir les rites funéraires. Enverra-t-il des cendres sur la lune ? Rien n'est impossible. Du moins, pour l'instant.

Ces pratiques, toutefois, ne font pas l'unanimité. L'Association des cimetières chrétiens du Québec et l'Assemblée des évêques catholiques croient que la destination finale des cendres devrait être le cimetière ou le columbarium. On se doute pourquoi. Les cendres sont les restes d'une créature de Dieu, qui a été habitée par l'Esprit saint et qui est promise à la résurrection...

Pas pour tout le monde. Mais pour les croyants, oui.

Le réseau des professionnels en rituels funéraires s'oppose aussi à la dispersion des cendres.

Si elle est adoptée, la loi 66 déposée par le ministre de la Santé Gaétan Barrette va encadrer les nouvelles pratiques, le transport de cadavres et la dispersion des cendres.

« Actuellement, on peut faire à peu près ce que l'on veut avec les cendres. On peut les répandre n'importe où. Il n'y a pas de règles. Nous considérons qu'il y a lieu de préciser tout cela », a dit le ministre lors d'une entrevue accordée à Présence information religieuse*, site qui est, comme son nom l'indique, dédié aux questions de religion d'actualité.

Ce n'est pas la première fois que Québec tente de réunir les lois et les règlements qui régissent le monde funéraire. Il y a eu d'autres tentatives au cours des 15 dernières années qui sont mortes au feuilleton. La loi actuelle n'a pas été retouchée depuis 1974, alors que la religion dictait encore largement les rites funéraires.

L'article 71 du projet de loi 66 stipule que « nul ne peut disperser des cendres humaines à un endroit où elles pourraient constituer une nuisance ou d'une manière qui ne respecte pas la dignité de la personne décédée ». Et l'article 72 précise que « la personne qui inhume des cendres humaines ou qui les disperse doit déclarer à l'entreprise de services funéraires ayant pris en charge le cadavre le lieu où ont été inhumées ou dispersées ces cendres, pour inscription au registre des activités funéraires de cette entreprise ».

« C'est aberrant, ce qui se passe actuellement. Nous voyons toutes sortes de choses, a dit à Présence information religieuse* Monique Morin, présidente de l'Association des cimetières chrétiens. Nous constatons que des personnes répandent les cendres de leurs proches dans des endroits inimaginables et inappropriés. »

Pour Mme Morin, rien dans les articles 71 et 72 n'empêchera une famille ou une personne qui prend en charge les cendres d'un proche de ne pas respecter son engagement. « Après qu'elles auront signé le registre, qui va les suivre pour savoir ce qu'elles feront avec les cendres ? », se questionne-t-elle, rapporte Présence information religieuse.

« On ne va quand même pas instaurer une police des cendres ! », rétorque le ministre Barrette, lors du même entretien avec le journaliste de Présence information religieuse*. 

Vous voyez, ce n'est pas simple.

L'absence de législation sur les cendres entraîne des situations pour le moins « discutables », selon Mgr Martin Veillette, président de l'Assemblée des évêques du Québec, comme on peut le lire sur le site de l'association*. « Des cendres sont laissées dans une maison lorsqu'elle est vendue ; des personnes font des travaux sur un terrain et découvrent une urne non identifiée ; des gens se présentent dans nos paroisses pour faire inhumer des cendres d'une personne qu'ils ne veulent plus garder dans un pendentif ; des personnes souhaitent inhumer les cendres dans deux endroits différents. »

Jocelyne Dallaire Légaré, petite-fille du fondateur des salons funéraires Alfred Dallaire, qui a racheté l'entreprise familiale, estime que ce sont des cas marginaux. « Une entreprise funéraire, écrit-elle dans un mémoire présenté à l'Assemblée nationale du Québec*, est là essentiellement pour servir les familles et répondre à leurs besoins. »

Alfred Dallaire Mémoria est sans doute la plus innovante des entreprises funéraires québécoises. « Plusieurs nouveaux produits ont été développés et constituent, selon nous, un avant-goût des tendances à venir pour des rituels en harmonie avec la nature et les hommages personnalisés », précise Mme Dallaire Légaré dans son mémoire*. Parmi ces produits, il y a l'urne de glace qui se dissout dans l'eau, l'urne botanique réalisée avec une partie ou la totalité des cendres qu'on plante sous un arbre et l'urne écologique en fibre de coton.

Ailleurs, dans le monde, les rites funéraires sont en constante évolution.

« Il y a un désir de communion avec la nature », observe Claudia Bérubé, qui a étudié les pratiques funéraires dans plusieurs pays. À Barcelone, dit-elle, plus de 70 % des gens ne mettent plus les cendres au cimetière. En Grande-Bretagne, l'État n'exerce pas de contrôle sur la dispersion ou la conservation des cendres.

Malgré cela, l'article 70 prévoit que les cendres doivent être remises à une seule personne dans une urne rigide qui les contient en totalité, sans qu'il soit possible de les diviser. Pourquoi rigide ? Pourquoi en totalité ? « C'est monnaie courante que les gens nous demandent de donner des cendres à plus d'un membre de la famille », précise Mme Dallaire Lagacé.

C'était notamment le cas de la famille de Jack Layton, qui a choisi de disperser quelques particules de ses cendres à Montréal, dans la paroisse où il est né, une autre partie sur les îles de Toronto, où il s'est marié, et une dernière partie dans un cimetière de Toronto, ville où il a vécu. Était-ce irrespectueux ? Aurait-il fallu l'interdire ?

Les parents de la chanteuse Amy Winehouse, eux, ont choisi de mélanger les cendres de leur fille à celles de sa grand-mère, mort en 2006, et pour qui elle avait un grand attachement. Est-ce un manque de respect ? Non, je ne le crois pas. Il faut vivre en accord avec son temps.

Et il faudrait que le gouvernement du Québec soit lui aussi de son temps. Devoir déclarer à l'entreprise funéraire ce qu'on a fait des cendres d'un proche, comme le prévoit le projet de loi, c'est une intrusion dans la vie privée qui n'a plus sa place.

La division et la dispersion des cendres devraient être permises dans les limites du gros bon sens. Que ce soit dans la terre, dans l'eau ou... sur la lune.

* L'article suivant a été modifié après sa publication initiale pour attribuer le crédit à des sources externes