Il y avait de l'électricité dans l'air, jeudi midi, au Palais des congrès. Un petit buzz qui excitait plus qu'à l'habitude les membres de la Chambre de commerce, réunis pour écouter le conseiller principal d'Uber inc.

Mais celui qui attisait la curiosité, ce n'est pas tant le conseiller principal d'Uber, David Plouffe... que l'ex-conseiller principal d'Obama, David Plouffe.

Un homme qui, comme son nom ne l'indique pas, maîtrise aussi bien le français que le capitaine du Canadien. « Même si mon nom est Plouffe, a-t-il dit, ça m'a pris deux semaines pour apprendre cette phrase... »

L'assistance était conquise.

Après tout, elle avait devant elle l'artisan de la victoire d'Obama en 2008, le directeur de campagne devenu conseiller principal du président américain.

En habile tacticien, David Plouffe en a profité pour sauter aussitôt dans le vif du sujet. D'un ton calme et assuré, il a vanté les mérites d'Uber. Il a détaillé les succès d'UberX. Il a énuméré les déclinaisons à venir de l'entreprise.

Il a ensuite louangé Montréal, « qui a l'habitude de faire sienne l'innovation ». Il a félicité Philippe Couillard pour son ouverture. Il a confié qu'Uber était prête à faire de grandes choses ici.

Et il a terminé en faisant ce pour quoi il s'était déplacé dans la métropole : demander à la communauté d'affaires d'utiliser « sa voix, son influence, ses relations » pour persuader Québec de légaliser Uber.

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Plouffe a-t-il convaincu les leaders d'opinion du Québec inc. ? J'en doute.

Ceux qui se sont présentés conquis d'avance sont sortis conquis. Et ceux qui voyaient Uber comme un ennemi à abattre avant la conférence voulaient probablement autant l'abattre après. Sinon plus.

Car si David Plouffe a fait un très bon « pitch de vente », il s'est justement contenté d'un simple « pitch de vente ». Ignorant les enjeux délicats et controversés que pose l'avènement d'Uber.

En soi, son discours était fascinant. Surtout quand il s'est mis à imaginer les bienfaits que pourrait avoir à long terme Uber en s'attaquant à l'auto solo.

UberX permet à n'importe qui de s'improviser chauffeur de taxi, ajoutant ainsi une option de mobilité à faible prix. UberPool, bientôt à Montréal, permet de multiplier les clients dans une même voiture et, ainsi, de faire baisser encore plus la facture de chaque trajet. Tandis qu'UberCommute permet aux navetteurs de faire monter des passagers, matin et soir, afin de partager le coût du transport vers le bureau.

David Plouffe a donc vanté les mérites de cette petite révolution que la technologie rend aujourd'hui possible. Il a chanté les louanges de la flexible economy (et non pas de l'économie du partage), qu'on pourrait traduire par « flexéconomie ». Il a montré comment la progression d'Uber pouvait transformer les villes.

Mais le problème, c'est que bien peu de gens remettent en question la formidable progression que pourrait connaître cette entreprise valorisée à 50 milliards. Ils s'interrogent plutôt sur les nombreux impacts qu'aurait celle-ci.

Et Plouffe n'a pas soufflé mot là-dessus dans son discours...

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Heureusement, la conférence du conseiller d'Uber a été suivie d'un échange à bâtons rompus avec John Parisella, grand amateur de politique américaine devant l'Éternel.

Cela a permis d'assouvir la curiosité de la salle quant aux opinions de Plouffe sur la précampagne électorale qui sévit au Sud (« si Trump était candidat face à Hillary, cette dernière remporterait une victoire écrasante »). Et cela a ouvert la porte à une franche discussion sur les éléments litigieux d'Uber, la fiscalité, les bénéfices locaux, le sort des taxis, la valeur des permis, etc.

Une discussion, hélas, qui a tourné court.

Plouffe s'est contenté de dire qu'Uber ne morcelait pas la tarte, qu'elle l'agrandissait plutôt. Ce qui est peut-être vrai, comme on l'a vu à San Francisco, mais ce qui n'empêche pas les villes et gouvernements de se poser bien des questions sur la façon d'agir d'Uber.

Moi-même partisan du covoiturage commercial (moins de l'entreprise Uber), je vois la nécessité de réglementer ce service, mais aussi combien il est difficile de le faire.

Je me pose donc bien des questions, comme l'industrie s'en pose, le Bureau du taxi, la Ville, le gouvernement aussi.

Je m'interroge sur l'éthique d'Uber, la part des profits qui sont réinvestis localement, la part des taxes et impôts qui échappe aux gouvernements. Je me pose des questions sur les gains financiers des chauffeurs d'Uber, leurs conditions de travail, la viabilité de ce modèle à long terme. Je m'interroge sur la dévalorisation des permis de taxis et son impact sur les prêteurs, les détenteurs, les chauffeurs.

C'est là qu'est le débat aujourd'hui. Au-delà du simple « pitch de vente », donc, aussi efficace soit-il.

Plouffe a demandé aux gens d'affaires de Montréal de l'aider à aider Montréal. Mais lui, malheureusement, ne les a pas beaucoup aidés à faire avancer la réflexion.