Une campagne électorale, à plus forte raison quand elle est interminable comme celle que nous impose Stephen Harper, se nourrit de tout ce qui se passe, parce qu'elle est incapable, à elle seule, de générer les moments forts qui soutiendront l'intérêt jour après jour. Il était donc inévitable que les soubresauts boursiers qui secouent la planète s'invitent dans nos débats électoraux.

Quand on y pense deux fois, ça ne devrait pas être le cas. La chute assez brutale de la valeur des actions sur toutes les places boursières est certainement spectaculaire. Mais il y a tout à parier que la panique se dissipera et que les marchés se stabiliseront, comme on l'a vu hier. Il faut rappeler qu'il y a une grosse différence entre les problèmes boursiers et la santé d'une économie.

Ce qui est plus pertinent, ce sont les facteurs qui ont déclenché cette panique boursière, surtout l'incapacité de la Chine de maintenir ses forts taux de croissance et donc de continuer à jouer son rôle de bougie d'allumage de l'économie mondiale. Cela s'ajoute aux autres éléments qui ont assombri les perspectives économiques canadiennes, comme le risque de récession qui pèse sur le pays, l'effondrement de sa devise et les effets dramatiques de la chute des prix pétroliers sur les provinces de l'Ouest. C'est plutôt ce climat morose qui va colorer la campagne électorale.

À un premier niveau, que ce soit logique ou non, c'est le gouvernement sortant qui écope lorsque l'économie se porte mal.

Le chef libéral Justin Trudeau, par exemple, a lancé hier que « M. Harper a le pire bilan de croissance économique depuis 80 ans au Canada ». L'accusation est exacte, mais elle est vide de sens, parce que cela s'explique par le fait que M. Harper était en poste lorsque la pire crise depuis 80 ans a frappé la planète.

Le premier ministre Harper pourra se défendre en rappelant que la crise de 2008-2009 et des événements plus récents, comme la crise boursière actuelle ou la chute du prix du pétrole brut, dépendent de facteurs internationaux dont il n'est pas responsable et sur lesquels il n'a aucun contrôle. Cela aussi est exact, mais cette ligne de défense peut avoir un effet boomerang.

Si les conservateurs n'ont aucun contrôle sur les facteurs qui plombent actuellement l'économie canadienne, ne peut-on pas dire qu'ils n'avaient pas davantage de contrôle sur les éléments qui ont permis la croissance canadienne, à commencer par les prix élevés du pétrole ?

Par contre, la période de turbulence boursière que nous connaissons vient renforcer un des messages-clés des conservateurs dans cette campagne, celui que leur gouvernement incarne la prévisibilité et la stabilité dont le Canada a besoin en période d'incertitude.

Dans un contexte politique normal, cet argument n'aurait pas beaucoup de poids, parce que, depuis 30 ans, il y a eu une étonnante continuité dans les politiques économiques et budgétaires des deux partis qui se sont partagé le pouvoir.

Ce qui donne un certain poids au discours conservateur, c'est le fait que le chef libéral, Justin Trudeau, ne s'est toujours pas imposé comme un homme politique capable de diriger le pays comme ses prédécesseurs et surtout que le NPD, qui a le vent dans les voiles, est jusqu'à un certain point inconnu. On mesure encore mal la portée et la profondeur du recentrage que Thomas Mulcair a imposé au parti qui, il y a à peine deux ans, se décrivait encore comme socialiste.

Mais ce sont des arguments de peur qui ont leurs limites. La stabilité que proposent les conservateurs aurait plus d'attrait si leur gestion économique avait vraiment été exceptionnelle. Ça n'a pas été le cas. J'aurai l'occasion de revenir là-dessus.