Fort McMurray... Ce n'est pas vraiment ici que j'avais prévu me trouver pour écrire la première chronique de la campagne électorale fédérale 2015. Il faut dire que, comme vous, je présume, je n'avais pas prévu que cette campagne démarrerait le 2 août et durerait plus de deux mois.

En fait, j'ai suivi le déclenchement des élections, télédiffusé en direct de Rideau Hall, à Ottawa, assis dans un avion de WestJet entre Montréal et Edmonton.

Nous voilà donc lancés dans une campagne de 78 jours, la plus longue et, évidemment, la plus coûteuse de l'histoire du Canada. Il faut remonter à la fondation du pays, en 1867, pour trouver une campagne électorale aussi longue. À l'époque, les chefs traversaient le pays en train, arrêtant à chaque gare, et les réseaux sociaux se résumaient aux parvis des églises.

Depuis le milieu des années 90, les partis politiques ont convenu, pour des raisons d'efficacité et d'économie, de limiter la durée des campagnes électorales à moins de 40 jours (sauf en 2005-2006, parce que la campagne avait fait une pause de deux semaines pendant les Fêtes).

Le petit monde politique canadien croyait donc que la campagne 2015 commencerait au début du mois de septembre, en vue du scrutin du 19 octobre. C'était sans compter le « facteur Harper ».

La loi dit que la durée minimale d'une élection fédérale est 36 jours, mais elle ne fixe aucun maximum. De toute évidence, Stephen Harper y a vu un avantage stratégique. Fidèle à lui-même, le chef conservateur a donc réécrit le petit livre des règlements dans son intérêt. Nous aurions dû nous en douter, même si une campagne de 78 jours, déclenchée dans la canicule, n'a aucun sens et n'apporte rien aux électeurs, sinon une dose supplémentaire de désabusement dont nous aurions pu, collectivement, nous passer.

Le premier ministre sortant n'a cure des conventions, des coutumes et, à bien des égards, des institutions. C'est le même premier ministre qui a critiqué publiquement la juge en chef de la Cour suprême, qui a muselé les scientifiques et les fonctionnaires, qui a réduit les médias à un rôle de figurants à Ottawa et qui a imposé une stricte mainmise sur les communications gouvernementales et qui vient de bouleverser les règles du jeu des débats des chefs.

Stephen Harper a pris le pouvoir, il y a près de 10 ans, dans le but de changer, patiemment, le jeu politique. Il y est parvenu, en grande partie, et cette nouvelle carte des 78 jours sortie de sa manche prouve qu'il n'a pas l'intention d'abandonner la partie.

Une campagne aussi longue comporte quelques avantages évidents pour les conservateurs, notamment celui de dépenser plus d'argent que leurs rivaux puisque leur parti est mieux nanti.

Il y a aussi des risques, toutefois, à courtiser l'électorat aussi longtemps. La manoeuvre elle-même pourrait se retourner contre les conservateurs. Dimanche matin, M. Harper voulait qu'on retienne deux choses: son parti est le mieux placé pour assurer la stabilité dans une économie fragile et représente le meilleur gage de sécurité dans un monde de plus en plus dangereux. Dans son discours, le chef conservateur a même fait un détour par l'Ukraine pour rappeler l'agression russe, et il a évidemment rappelé les événements de Saint-Jean-sur-Richelieu et d'Ottawa.

Mais Stephen Harper a surtout dû répondre à des questions sur la nécessité et les coûts d'une campagne aussi longue. Une campagne deux fois plus longue coûtera deux fois plus cher (500 millions) et comme les candidats pourront dépenser plus d'argent, ils auront droit à plus de remboursements par l'État.

Réponse de M. Harper: « Les autres partis ont déjà commencé leur campagne et il est important que tous les partis respectent la loi et payent pour leurs dépenses de campagne avec leurs ressources, pas avec les ressources de l'État. » Venant d'un premier ministre qui distribue, avec ses ministres, des milliards partout au pays depuis des semaines (au fait, avez-vous reçu votre fameux chèque de la PUGE?), c'est, restons poli, plutôt ironique.

Et pourquoi une campagne aussi longue? « Il est important que les Canadiens aient le temps de voir ce que les partis ont à offrir », répond M. Harper. Cette réponse ne convaincra personne, surtout pas en plein milieu de l'été.

À défaut d'un enjeu clair, et certainement à défaut de quelque urgence de déclencher si tôt, cette très longue campagne a débuté dimanche sous le sceau du sophisme et, oui, du cynisme.

Au pouvoir depuis presque 10 ans, Stephen Harper demande aux électeurs un quatrième mandat. Il a toujours mené son bateau seul, de manière autocratique, et plusieurs de ses ministres sont partis (Baird, McKay, Moore, pour ne nommer que ceux-là). Cette campagne repose donc sur lui et sur sa capacité à convaincre les Canadiens de prolonger son bail au 24, Sussex.

Le chef conservateur a dit lui-même, dimanche, qu'une élection n'est pas un concours de popularité, mais ce scrutin pourrait bien se transformer, en définitive, en un très long Harperendum.

Rodage électoral

Thomas Mulcair a lancé sa campagne, dimanche, sans prendre une seule question des nombreux journalistes présents. Justin Trudeau, lui, s'est fait entendre deux bonnes heures après ses rivaux, parce qu'il était dans un avion au moment du déclenchement. Pas facile, le rodage d'une campagne électorale en plein été...