Les voyages forment la jeunesse, dit le dicton, mais peuvent-ils aussi aider à se forger une opinion sur des sujets délicats? On verra bien si le bref séjour de Philippe Couillard en Angleterre et en Belgique, deux pays aux approches différentes en matière de laïcité, lui aura permis de cheminer sur l'approche à adopter au Québec.

L'Angleterre, réputée très libérale en matière de libertés individuelles, en particulier envers le port de signes religieux, permet à ses citoyens et fonctionnaires l'expression publique de leurs convictions, y compris aux policiers.

La Belgique, déchirée sur ces questions depuis des années, a décidé récemment d'interdire le port de «signes convictionnels» (j'aime bien ce terme, moins chargé, qui englobe les signes religieux, politiques ou philosophiques) dans la fonction publique.

Entre ces deux modèles, Philippe Couillard aura-t-il trouvé l'inspiration pour pondre le très attendu projet de loi sur la laïcité au Québec? Rien n'est moins certain. De toute évidence, le gouvernement libéral ne manifeste aucun empressement à agir sur ce front.

Le premier ministre, à peine arrivé de l'autre côté de l'Atlantique, il y a trois jours, affirmait que ce n'est pas le moment (après les attentats de Paris, d'Ottawa, de Saint-Jean-sur-Richelieu et de Sydney, en Australie) de légiférer sur cette question. Selon lui, le climat de tension post-attentat est propice à la stigmatisation d'une minorité, les musulmans, nommément.

L'émotion, en effet, peut être bien mauvaise conseillère sur des sujets aussi délicats, mais pour les libéraux, il semble que ce ne soit jamais le temps de se pencher sérieusement sur la laïcité de l'État. Jean Charest s'est «acheté du temps» en créant la commission Bouchard-Taylor, pour ensuite oublier son rapport sur une tablette. Près de sept ans plus tard, toujours rien chez les libéraux, même si, dans l'intervalle, la question a occupé une place prépondérante pendant des mois sur la scène politique et dans l'opinion publique. La dernière campagne électorale, l'an dernier, s'est même déroulée en grande partie sur ce thème.

Durant cette campagne électorale, Philippe Couillard promettait d'agir rapidement contre l'intégrisme et s'engageait aussi à déposer un projet de loi sur la neutralité religieuse de l'État. Au risque de me répéter, retourner au long texte du collègue Alec Castonguay, dans L'Actualité, qui relate que M. Couillard a affirmé, le soir de son élection, vouloir régler cette question «dès le début de son mandat». Vendredi, au pays de Galles, M. Couillard repoussait une adoption possible d'une loi «avant la fin du mandat» (en 2018).

On dit souvent que les libéraux ne veulent pas légiférer en la matière parce qu'ils sont mal à l'aise avec les questions identitaires. Vrai, les questions linguistiques, notamment, sont glissantes pour les libéraux, mais sur les questions de liberté religieuse et de neutralité de l'État, Philippe Couillard aime bien rappeler que ses idées sont claires, bien arrêtées et qu'il n'a pas peur d'en débattre. Alors, pourquoi repousser sans cesse ces questions? Parce que les libéraux savent que leur position déplaira à une majorité de Québécois? À moins que cette lancinante hésitation ne serve, finalement, les intérêts politiques des libéraux? Si, au contraire d'être coincés par leur absence de position, les libéraux jugeaient qu'ils en tirent profit?

Après tout, la non-position du PLQ force ses adversaires à proposer des solutions forcément controversées et elle soigne une bonne partie de sa base électorale. Il est difficile de critiquer une position inexistante. Les libéraux n'ont-ils pas fait campagne sur les «vraies affaires», laissant entendre que les questions identitaires ne font pas partie de cette catégorie?

Cela dit, la stratégie politique et la peur de glisser ne devraient pas dispenser un gouvernement de prendre ses responsabilités. Le débat sur la neutralité de l'État ne disparaîtra pas de lui-même si on le pousse constamment sous le tapis. En retardant volontairement le dépôt de sa proposition, le gouvernement libéral souhaite évidemment rester sur les lignes de touche pour regarder les candidats à la direction du PQ s'entredéchirer sur le sujet.

C'est pour combler le vide - et forcer ses adversaires à venir l'affronter sur son terrain - que Bernard Drainville revient à la charge avec une nouvelle version de sa charte. Une version qu'il veut plus «consensuelle».

Déjà, l'automne dernier, un proche conseiller de Bernard Drainville me disait que son candidat travaillait à une charte adoucie, ajoutant, avec un sourire moqueur: «Vous ne l'aimerez pas plus, mais elle sera plus consensuelle.»

Moins radicale que sa première version, la charte, prise 2 de Bernard Drainville a, à mes yeux, le même défaut que l'originale: la discrimination à l'emploi basée sur l'expression personnelle de sa religion. Cette discrimination ne s'appliquerait qu'aux nouveaux employés de l'État, nous dit maintenant Bernard Drainville, mais ne pas engager quelqu'un pour des motifs religieux, c'est la même chose que de le congédier pour ce motif. Même à deux vitesses, la discrimination reste... de la discrimination.

Je ne vois toujours pas, par ailleurs, comment un État peut lutter contre l'intégrisme en privant de travail des gens, surtout des femmes, et en les excluant parce qu'elles portent un voile sur la tête.