Il y a donc eu Martin Couture-Rouleau, lundi, à Saint-Jean-sur-Richelieu. Puis, Michael Zehaf-Bibeau, à Ottawa, hier.

Deux hommes enragés, qui attaquent des militaires, à deux jours d'intervalle: difficile de ne pas voir de similitudes entre ces deux évènements.

Le portrait de Martin Couture-Rouleau est apparu dans les heures qui ont suivi l'attentat. C'était un gars un peu paumé, qui s'est laissé aspirer par le discours de l'islamisme extrême au point d'en faire une obsession. Un parcours de radicalisation fulgurante d'un jeune homme qui a tenté d'entraîner ses amis dans sa folie.

Au moment d'écrire ces lignes, l'histoire de Michael Zehaf-Bibeau se dessine avec moins de clarté. Canadien né d'un couple mixte, il avait eu plusieurs démêlés avec la justice. Selon ce que La Presse a appris, il se serait fait retirer son passeport.

D'autres informations non confirmées pointent vers une possible radicalisation islamiste. Une photo que plusieurs médias lui ont attribuée montre un jeune homme brandissant un fusil, la bouche recouverte d'un keffieh.

Son geste lui-même alimente la thèse de l'extrémisme. Car ses cibles n'étaient pas anodines. Elles représentent le pouvoir politique et militaire au Canada. C'est tout à fait le genre de cible désigné par le porte-parole officiel du groupe armé État islamique (EI), quand il a appelé les «fidèles» à tuer les «mécréants», notamment au Canada - pays ayant joint la coalition qui tente de freiner la progression de l'EI en Irak et en Syrie.

Ce serait encore plus troublant s'il s'avérait - ce qui n'était pas exclu au moment où j'écris ce texte - que l'homme n'a pas agi seul. Cela signifierait que nous ne sommes pas en présence d'un acte de «loup solitaire», ou d'une soudaine explosion de rage meurtrière, mais devant une action coordonnée. Ce qui renforcerait la thèse d'un attentat terroriste.

Tout ça baigne encore dans un nuage de mystère. On en saura plus dans les jours qui viennent. Ce qu'on sait déjà, par contre, c'est qu'il n'y a rien de plus facile, aujourd'hui, que de transformer un jeune un peu troublé en djihadiste.

Plus besoin d'aller dans un camp d'entraînement en Afghanistan, pas besoin d'entretenir des liens avec quelque chef de guerre. Il suffit d'un ordinateur. Et d'un peu de temps.

Et c'est bien là le danger des méthodes de radicalisation qui font aujourd'hui des ravages un peu partout en Occident, y compris, comme on le sait maintenant, au Canada.

L'anthropologue française Dounia Bouzar vient en aide à plus d'une centaine de familles qui ont vu leurs jeunes convertis s'envoler vers la Syrie.

Je vous ai parlé d'elle dans une récente chronique. Cette semaine, je lui ai demandé de jeter un coup d'oeil sur la page Facebook de Martin «Ahmad» Couture-Rouleau, pour voir si elle y décelait les mêmes influences que celles subies par les nouveaux convertis en France.

Et oui: elle y a retrouvé des images familières. Et qui représentent les diverses étapes de l'endoctrinement au djihad.

Martin Couture-Rouleau a commencé par flirter avec des théories du complot, selon lesquelles des organisations secrètes poussent le monde à sa perte. À preuve: le chômage, le sida, les OGM...

«Arrivé à ce stade, le jeune est convaincu que le Mal l'entoure et que des extraterrestres démoniaques vont anéantir l'humanité», analyse Dounia Bouzar.

Dans ses publications plus récentes, le jeune homme partage des images de création du monde et de pureté, preuve de l'existence et de la perfection de Dieu. «Après avoir immergé le jeune dans un rejet absolu du monde réel, des vidéos le persuadent que la seule façon de combattre l'ignominie et l'injustice passe par une confrontation finale et totale avec ce monde perverti.»

Une des dernières images publiées par Martin-Ahmad représente deux portes. L'une s'ouvre sur le paradis. L'autre sur l'enfer. Il était désormais convaincu qu'il avait le pouvoir de sauver le monde et de gagner sa place au paradis.

Ce type d'endoctrinement peut survenir à une vitesse fulgurante. Quelques semaines suffisent pour «retourner un cerveau». Tel le membre d'une secte religieuse, le nouveau djihadiste est convaincu d'avoir été choisi par Allah pour accomplir sa mission. Envers et contre tous ses proches, qui n'ont pas accès à la Vérité.

C'est sur ce terreau mystico-religieux qu'a poussé la fureur de Martin Couture-Rouleau. Michael Zehaf-Bibeau n'a peut-être rien à voir avec ce délire. Mais compte tenu du climat actuel, compte tenu de ses cibles, compte tenu de la place de choix qu'occupe le Canada sur la liste noire de l'EI, l'hypothèse d'un acte de terreur lié à l'islam radical reste plausible.

Pour joindre notre chroniqueuse: agruda@lapresse.ca