Les débats chargés d'émotion et lourds de symboles ont souvent tendance à aller dans toutes les directions. C'est le cas du prix unique du livre.

Cette vieille idée, relancée par le monde du livre, et qui fait l'objet cette semaine d'une commission parlementaire, consiste à interdire des rabais de plus de 10% sur le prix d'un livre dans les neuf mois après sa publication, pour limiter la concurrence exercée par les grandes surfaces, comme Costco, et aider les petits libraires qui ont du mal à survivre.

Au départ, l'intention est éminemment louable. Mais le problème est mal identifié. Il est absolument faux de croire que les grandes surfaces déferlent sur le marché du livre. Les données de l'Observatoire de la culture montrent plutôt que leur part de marché reste stable dans le temps, dans une fourchette de 10-11%.

Il est encore moins vrai que les librairies subissent une érosion. Les mêmes données indiquent en effet que la part des librairies dans les ventes totales de livres au Québec a plutôt tendance à augmenter. Elle était de 60,5% en 2008. Et de 64,5% en 2012.

Par contre, les ventes de livres, toutes sources confondues, sont en nette régression. De 747 millions en 2008, elles sont passées à 678 millions en 2012. Une baisse de 9,3% en quatre ans. Si on tient compte de l'inflation, la baisse est plutôt de 16%. Et ça continue en 2013. Le vrai problème est là. Pas la concurrence des grandes surfaces, mais le fait que les gens achètent moins de livres.

Cette baisse des achats tient en partie à un changement profond des habitudes de vie. Elle ne pourra que s'accélérer avec les progrès d'autres modèles de diffusion, les achats en ligne ou le livre électronique. Ses effets sont en outre exacerbés par une transformation du marché où les chaînes de librairies, comme Renaud-Bray et Archambault, occupent une place croissante.

Le prix unique ne fera pas grand-chose pour endiguer ces tendances lourdes, pourtant plus menaçantes que les rabais des grandes surfaces. Mais cette solution, inefficace, n'est pas pour autant neutre. Elle aura des effets pervers troublants.

Il y a une évidence que certains acteurs du monde du livre ont tendance à nier. Une limite sérieuse aux rabais, en imposant le plein prix, aura pour effet d'augmenter le prix moyen que les gens devront débourser pour leurs livres.

Cela mène à une autre évidence. Quand le prix d'un bien augmente, sa consommation a tendance à baisser. C'est l'hypothèse que font, par exemple, les partisans d'une taxe sur la malbouffe. Rien ne permet de croire que le livre y échappera, surtout pour les clientèles plus vulnérables, les familles à plus faibles revenus ou celles dont les habitudes de lecture moins ancrées.

C'est pour cette raison qu'au Québec, on avait exempté les livres de la TVQ. Le prix unique, qui force les consommateurs à payer plus pour soutenir les petits libraires, équivaut indirectement à une forme de taxation régressive.

Cette politique pourrait mener à une catastrophe culturelle bien plus grande que la mort lente des petits libraires. Car la lecture est essentielle une société éclairée, encore davantage pour la nôtre, qui se définit par une langue qu'elle veut protéger.

Or les Québécois lisent déjà peu. Ils sont au dernier rang des provinces canadiennes, selon une enquête fédérale: 46% lisent des livres, contre 54% ailleurs au Canada. En outre, ils possèdent moins de livres et fréquentent moins les bibliothèques.

S'il y a un enjeu de société dans ce dossier, il est là: promouvoir la lecture, encourager les Québécois à acheter et lire des livres. Le prix unique du livre nous mènerait carrément dans la direction contraire.