À la veille de l'ouverture du Sommet québécois sur l'enseignement supérieur, voici un coup d'oeil sur des expériences de gratuité universitaire dans le monde. Ce qu'on peut en retenir: la gratuité est possible. Mais... elle a un coût.

Jakob Ruggaard ne sait plus où donner de la tête, ces jours-ci. Lundi, le gouvernement danois a annoncé une série de compressions dans son programme de bourses universitaires.

Depuis, le président de l'Association nationale des étudiants du Danemark court d'une université à l'autre pour mobiliser les troupes. «Les étudiants sont furieux, nous ne laisserons pas passer ça en silence!», clame-t-il, indigné, quand je réussis enfin à l'attraper au téléphone.

Les études universitaires sont gratuites au Danemark. Mieux que ça: tout étudiant reçoit d'office une bourse qui peut atteindre 1000 $ par mois. De quoi assurer sa subsistance.

Cette bourse est renouvelable pendant six ans, soit une année de plus que le temps réglementaire pour décrocher une maîtrise. Les rumeurs voulant que cette aide soit réduite à cinq ans ont soulevé un débat houleux, cet hiver. Le sujet fait la une des journaux. Et l'opinion publique rejette le projet à plus de 80 %!

Un rejet qui traverse la barrière des générations: «Les parents savent bien que, le cas échéant, ce sont eux qui paieraient la note», dit le journaliste Jacob Fugslang.

Finalement, le gouvernement a plié... un peu. Ces compressions toucheront surtout les étudiants qui vivent encore chez leurs parents. Et ceux qui lambinent trop entre le secondaire et l'université. Une réforme qui générerait des économies annuelles de 400 millions de dollars. «Nous devons équilibrer les finances publiques et les étudiants doivent participer», dit Jacob Fuchs, du ministère de l'Enseignement supérieur, sur un ton qui n'est pas sans rappeler ce qu'on entendait à Québec il y a un an...

Même édulcorées, les compressions alimentent la grogne. «Des étudiants qui tombent malades ou qui subissent un trop grand stress risquent d'interrompre leurs études», dénonce Jakob Ruugaard - qui confie avoir suivi avec fascination les grèves étudiantes au Québec, l'an dernier.

Vue du Québec, la colère des étudiants danois peut paraître puérile. Mais à Copenhague, plusieurs y voient une brèche dans le fameux modèle social que l'on retrouve aussi dans d'autres pays scandinaves. Un modèle qui voit la gratuité scolaire comme une pierre angulaire de l'égalité sociale.

Mais ce modèle a aussi son prix.

La fièvre des examens d'admission universitaires se répand dans les collèges finlandais dès le printemps. Les universités sont très, très sélectives. «C'est très difficile d'entrer dans certaines facultés, le système veut s'assurer que les bons cerveaux sont à la bonne place», dit André Chaker Noël, Québécois établi en Finlande, auteur d'un livre sur le «Miracle finlandais.» Comme au Danemark, les universités finlandaises sont gratuites et les étudiants reçoivent une bourse pour pouvoir se concentrer à 100 % sur leurs études. Mais au moment d'entrer à l'université, la marche est très haute. Tellement que plusieurs candidats suivent des cours de préparation aux examens d'admission. Des cours privés, et pas gratuits du tout. La facture peut dépasser 4000 $! Et tant pis pour la sacro-sainte égalité.

Les Finnois sont tenaces, souligne André Chaker Noël: à force de multiplier les demandes d'admission, ils finissent par trouver une niche. Mais plusieurs doivent se contenter d'un deuxième ou d'un troisième choix. D'autres s'en vont étudier à l'étranger.

Les universités gratuites ne sont donc pas automatiquement plus accessibles. Mais les universités les plus chères ne sont pas non plus automatiquement inaccessibles! «Il n'y a pas de lien entre les droits de scolarité et le taux d'accès aux études universitaires», dit Étienne Albiser, de l'OCDE. Selon lui, un troisième facteur vient équilibrer la situation: les programmes de prêts et bourses.

Et la qualité? Le financement exclusivement public assure-t-il une formation de haut niveau? Les écoles finlandaises figurent parmi les meilleures du monde. Mais les universités, elles, se trouvent loin du peloton de tête dans les classements internationaux, loin derrière Harvard ou McGill, fait valoir André Noël Chaker: «Il n'y a pas de mauvaise université en Finlande, mais le pays n'a pas les moyens d'avoir un MIT.»

Qui dit gratuit dit: on peut prendre son temps. Les pays qui n'imposent pas de droits universitaires cherchent des moyens d'accélérer le parcours des étudiants. Il y a quelques années, la Norvège a trouvé le truc suivant: convertir en bourses les prêts dont bénéficient tous les étudiants, pour ceux qui ne se traînent pas trop les pieds. Pour ceux qui obtiennent leur diplôme à temps, c'est 40 % du prêt qui se transforme en bourse.

Turid Satermo, anthropologue norvégienne qui fait des études de troisième cycle à l'université de Trondheim, avait accumulé plus de 30 000 $ de dettes au moment de terminer sa maîtrise. Comme étudiante au doctorat, elle reçoit un salaire d'environ 60 000 $ de l'État - en échange de quoi elle donne des cours et corrige des examens. Elle peut donc facilement rembourser sa dette. Mais si jamais elle devait se retrouver sans emploi, elle pourrait suspendre ses paiements.

Études gratuites, prêts qui se transforment graduellement en bourses, doctorants traités comme des employés de l'État. Mais comment donc la Norvège et ses voisins font-ils pour financer leurs paradis universitaires?

Pour l'essentiel, en infligeant à leurs citoyens les taux d'imposition les plus élevés de la planète. Taux maximal d'impôt sur le revenu de plus de 55 % au Danemark, et de près de 50 % en Norvège et en Finlande. Ce à quoi s'ajoute une TVA de 25 %.

Le prix à payer pour la gratuité universitaire, il est aussi là : dans cette participation collective à une dépense publique que dans chacun de ces trois pays une vaste majorité juge essentielle.

Le modèle allemand

Les pays scandinaves ne sont pas les seuls à offrir des études universitaires gratuites. Il y a aussi le Mexique, la République tchèque et... l'Allemagne. L'Allemagne étant un État fédéré, la situation des universités varie d'un Bundesland à l'autre. Mais la gratuité universitaire prévaut dans la majorité des États.

Le principe est constamment remis en question, entre autres par le CDU, le parti d'Angela Merkel. Les arguments pour l'imposition de droits de scolarité: améliorer la qualité de l'enseignement. Et libérer la population du fardeau de financer les études de ceux qui finiront par gagner des salaires meilleurs que la majorité des contribuables.

Mais ces arguments tombent à plat, et récemment, la Bavière a décidé de renouer avec la gratuité et d'abandonner ces droits universitaires d'environ 1300 $ par an.