Quand le parti Justice et développement a remporté les législatives marocaines de l'automne 2011, l'un de ses leaders, Mustafa Ramid, avait cru bon d'exposer sa vision «progressive» de l'islam.

C'était la première fois que ce parti, décrit comme islamiste modéré, arrivait aux portes du pouvoir. Et le futur ministre de la Justice voulait rassurer ceux qui craignaient l'impact de ce coup de tonnerre électoral.

«L'islamisation du Maroc, avait-il déclaré, sera réalisée strictement par un retour à la justice et aux libertés religieuses.»

Mais de quelles libertés Mustafa Ramid parlait-il donc? De celles qui permettraient à chaque Marocain de pratiquer la religion de son choix de la manière qui lui convient - y compris de ne pas pratiquer du tout? Ou alors de celles qui laisseraient son gouvernement imposer, graduellement, sa propre lecture de l'islam?

On devine qu'à ses yeux, islamisation et liberté religieuse allaient de pair. Ce qui rejoint sans doute la vision des Frères musulmans qui gouvernent en Égypte, ou celle du parti Ennahdha, qui domine la scène politique tunisienne. Ce qui recoupe aussi, très certainement, la perception des salafistes, qui prolifèrent un peu partout sur le terreau laissé en friche par le Printemps arabe. Et celle de tous les autres intégristes, toutes religions confondues.

Et le nouveau Bureau canadien de la liberté de religion, annoncé cette semaine par Stephen Harper, à quelle enseigne logera-t-il? Quelles libertés religieuses défendra-t-il? Celles des pratiquants tranquilles? Ou celles des radicaux prosélytes qui rêvent de répandre leur foi, quitte à empiéter sur toutes sortes d'autres droits?

À elle seule, cette question montre le terrain délicat sur lequel s'avance le gouvernement conservateur, avec sa nouvelle créature. Pas que les droits religieux n'aient pas besoin d'être défendus. Ils sont bafoués un peu partout sur la planète. Selon le Forum Pew sur la religion et la vie publique, 70 % de la population mondiale habite des pays où le niveau de discrimination religieuse est élevé. Les chrétiens sont persécutés dans 130 pays. Les musulmans en arrachent dans 117 pays. Les juifs, les hindous, les bahaïs, les bouddhistes - chaque religion, si on peut dire, porte sa croix...

Mais en créant un organisme gouvernemental consacré spécifiquement à la protection des libertés religieuses, Ottawa semble placer ce droit-là au-dessus des autres. D'autant plus qu'au cours des dernières années, le gouvernement Harper a rogné sur la défense d'autres libertés. En mettant la clé sous la porte de Droits et Démocratie, par exemple. Et en affamant des tas d'ONG vouées à la promotion des droits politiques, de l'égalité des femmes, de la liberté d'expression et d'autres libertés - incluant celle de pratiquer la religion de son choix.

En isolant la liberté religieuse, Ottawa crée un gros déséquilibre. Car les religions ont une fâcheuse tendance à restreindre le champ de la liberté. Comme le souligne Alex Neve, patron de la section canadienne d'Amnistie internationale, «l'intolérance religieuse existe, mais la religion libérée peut entrer en collision avec d'autres droits».

Et c'est particulièrement vrai en ce début de XXIe siècle, marqué par la montée des intégrismes. Phénomène auquel le nouveau bureau de la liberté religieuse risque de contribuer, au lieu de le freiner. C'est en tout cas l'avertissement qu'a lancé la politicologue américaine Elizabeth Shakman Hurd, dans une conférence prononcée l'automne dernier, à l'Université d'Ottawa. Elle y avait d'ailleurs évoqué la déclaration du ministre marocain Mustafa Ramid, citée au début de cet article...

Eh bien!, pour Elizabeth Shakman Hurd, en mettant tout son poids derrière les libertés religieuses, le Canada risque de créer un effet pernicieux: encourager tous ceux qui croient que la religion est leur caractéristique la plus déterminante. En faire l'élément identitaire qui prime tous les autres. Or, cette exacerbation de l'identité religieuse, c'est précisément le bois dont se chauffent tous les extrémistes.

Le nouveau Bureau de la liberté religieuse n'était absolument pas nécessaire. Mais il existe. Et la liberté de religion, c'est comme la proverbiale tarte aux pommes: difficile d'être contre. Au nouvel ambassadeur des libertés religieuses, Andrew Bennett, de faire la preuve qu'il ne défendra pas ce droit particulier en favorisant certaines religions plus que d'autres. Et en mettant en péril d'autres droits, tout aussi fondamentaux.