Quand il a su que l'armée française avait atteint Gao, tard dans la nuit de samedi, Sadou Maïga est sorti dans la rue pour allumer une cigarette. Il a pris un grand plaisir à la déguster: c'était la première fois qu'il fumait librement depuis huit mois.

Des avions survolaient la ville, à basse altitude. Au loin, on entendait des coups de feu. Sadou Maïga ne savait pas trop qui tirait sur qui. Mais il comprenait que le cauchemar tirait à sa fin.

Sadou Maïga travaille comme conducteur de bac transportant des camions sur le fleuve Niger, dans le nord du Mali. Ou plutôt: il TRAVAILLAIT comme conducteur de bac. Car depuis que les islamistes ont pris le contrôle de la ville, au début de l'été, chassant les rebelles touaregs qui s'en étaient emparé en avril, toute la vie s'est arrêtée à Gao. Les écoles ont fermé. Tous les représentants de l'État ont plié bagage.

Le MUJAO, ou Mouvement pour l'unicité et le Djihad en Afrique de l'Ouest, a imposé sa loi. Voile et gants obligatoires pour les femmes. Peines d'amputation pour les voleurs. Et interdiction de fumer. Alors, les habitants de la ville se sont terrés chez eux, craignant d'être fouettés ou battus en public pour n'avoir pas suivi la dure loi des islamistes.

«Tout le monde avait peur. Tous ceux qui en avaient les moyens ont quitté la ville. Le bac ne fonctionnait plus. Je n'avais pas d'argent et aucun endroit où aller.»

Alors Sadou est resté à Gao, avec ses deux femmes et leurs neuf enfants. Ils ont survécu comme ils ont pu. Par moments, ils ont eu faim. Encore hier, quand je l'ai joint sur son cellulaire, Sadou se demandait comment il allait nourrir sa famille: il n'y avait pas un seul magasin ouvert en ville.

La paix n'était pas encore revenue, et les habitants de Gao pourchassaient les derniers militants du MUJAO, qui se terraient dans des coins isolés. Mais les islamistes étaient en fuite.

«Enfin, je peux faire ce que je veux. À Gao, tout le monde est content!»

Près d'un millier de kilomètres plus au sud, à Bamako, Mahamane Maïga était tout aussi soulagé. Ce médecin vient d'Iloa, village à une vingtaine de kilomètres de Tombouctou - l'autre ville du Nord malien dont les islamistes ont perdu le contrôle, hier.

Mahamane Maïga était incapable de joindre ses proches, hier: les communications avec la région de Tombouctou sont coupées depuis plusieurs semaines. Mais ce médecin, qui a accueilli chez lui de nombreux déplacés de Tombouctou (à un moment, 16 enfants du Nord logeaient dans sa maison!), n'avait jamais tout à fait perdu contact avec sa famille, qui a d'abord subi le joug des indépendantistes touaregs, puis celui des islamistes d'AQMI (Al-Qaïda au Maghreb islamique).

Ces étrangers, originaires surtout d'Algérie, ont commencé par taxer la population, puis ils ont imposé leur loi: plus de distractions, plus de musique, mais, surtout, plus de mobilité.

Les femmes n'avaient plus le droit de se déplacer librement. Et les hommes avaient peur de les laisser seules à la maison.

Dans ce village d'éleveurs et d'agriculteurs, le résultat a été catastrophique: des animaux sont morts, des récoltes ont été perdues. Les gens étaient terrorisés. Et ils avaient faim.

Mahamane Maïga attendait impatiemment, hier, de pouvoir rappeler les siens à Iloa. Mais il était déjà soulagé, au-delà des mots...

Omar Koné suit la situation de beaucoup plus loin. Du Québec, en fait, où il exerce les fonctions d'imam au Centre soufi de Montréal. Le soufisme, c'est l'une des branches les plus modérées de l'islam sunnite.

Omar Koné est originaire du sud du Mali, et il n'a pas de famille dans le Nord. Mais lui aussi a soupiré de soulagement quand il a vu les villes du Nord débarrassées des islamistes radicaux qui pratiquent une religion qui n'a rien, mais alors rien à voir avec son islam à lui. La libération de Tombouctou lui a fait particulièrement chaud au coeur. «Les gens pensent que Tombouctou, c'est le bout du monde, mais longtemps, cette ville a été au coeur du savoir.»

Les connaissances en botanique, en histoire ou en astronomie accumulées dans les fameux manuscrits de Tombouctou, dont certains datent d'aussi loin que le XIIe siècle, sont conservées par les grandes familles maliennes, qui se les transmettent de génération en génération. Avant de partir, les islamistes ont mis le feu à la bibliothèque de Tombouctou, qui abritait une partie de ce trésor. Leur départ permet de sauver le reste.