Cou'donc, Michael Sabia et ses lieutenants de la Caisse de dépôt et placement ont-ils si peur de Pauline Marois et du Parti québécois qu'ils sentent l'urgence de protéger à tout prix Rona contre une prise de contrôle étrangère?

En effet, la Caisse de dépôt et placement du Québec ne lâche pas le morceau et continue de serrer l'étau autour de Rona, de peur de voir notre fleuron de la quincaillerie canadienne tomber entre les mains de l'américaine Lowe's. Bien que le quincailler américain ait annoncé en début de semaine qu'il renonçait à son offre amicale d'acquisition de Rona, des analystes croient qu'une offre publique d'achat (OPA) hostile demeure toujours possible.

Après avoir acquis un bloc additionnel de 285 700 actions de Rona au prix moyen de 12,75$ lors des deux séances de la fin août qui ont précédé le retour au pouvoir du Parti québécois, la Caisse s'est permis d'acheter un autre gros bloc de 731 900 actions lors de la journée même des élections, soit le mardi 4 septembre dernier. Elle a payé ce bloc 12,84$ l'action, pour un investissement de 9,4 millions de dollars.

La Caisse détient maintenant 18,2 millions d'actions de Rona, soit 15% des actions en circulation. Ce qui fait de la Caisse le principal actionnaire du quincailler québécois. C'est depuis décembre 2011 que la Caisse accumule des blocs d'actions de Rona. Cela coïncide avec le début des rumeurs laissant entendre que Lowe's s'intéressait à la chaîne de magasins de notre quincailler.

De décembre à aujourd'hui, la Caisse a acheté sur le marché un peu plus de 6,9 millions d'actions additionnelles. Elle a ainsi augmenté sa position de 62% dans Rona.

La moitié de ces actions ont été acquises à bon compte (autour de 10$ l'action) et l'autre moitié à des prix (de 12,65 à 14,25$) nettement plus haut que le cours actuel de Rona. Au décompte, la Caisse accuse présentement une moins-value de 5,5 millions de dollars avec ses achats des neuf derniers mois.

C'est en raison du retrait de la «proposition non contraignante et non sollicitée» de Lowe's que l'action de Rona a fortement chuté par rapport à son récent haut de 14,49$ atteint lors du dévoilement de l'offre de Lowe's, le 31 juillet dernier. À 11,05$, le titre de Rona se négocie actuellement en baisse de 23% par rapport à son récent sommet.

La tentative d'OPA amicale de Lowe's sur Rona a ravivé la fibre nationaliste non seulement des péquistes de Pauline Marois mais également des caquistes de François Legault et même des libéraux de l'ex-premier ministre Jean Charest. Dans un étonnant consensus de campagne électorale, les trois grands partis politiques souhaitaient barrer littéralement la route à la tentative de prise de contrôle de Lowe's sur Rona.

Pour le PQ et la CAQ, il ne fait pas de doute que la Caisse de dépôt et placement doit jouer un rôle déterminant dans la protection boursière de nos entreprises susceptibles de faire l'objet d'une éventuelle OPA étrangère ou canadienne, hors Québec s'entend.

Lors de la dernière campagne électorale, Mme Marois et M. Legault ont clamé sur toutes les tribunes qu'ils voulaient éviter le départ d'un autre siège social. Lors des 10 dernières années, ont-ils rappelé, le Québec a perdu plusieurs sièges sociaux d'entreprises québécoises. Ils incluent dans la liste Domtar, AbitibiConsolidated (devenu Produits forestiers Résolu), Alcan (Rio Tinto), Molson (devenue Molson Coors), Bourse de Montréal, Vachon, Van Houtte... Parenthèse: Domtar, Résolu, Alcan, Molson... continuent d'afficher le Québec comme lieu de leur siège social respectif.

Quoi qu'il en soit, avec le retour d'un gouvernement du Parti québécois, et l'appui de la CAQ, la Caisse de dépôt et placement du Québec va redevenir plus nationaliste dans ses placements. Comme on sait, le Parti québécois veut que la Caisse mette en place un fonds spécial d'investissement stratégique de 10 milliards pour soutenir les entreprises québécoises et au besoin, les défendre contre une mainmise étrangère.

Que la Caisse de dépôt et placement détienne des blocs d'actions et même des positions importantes dans l'actionnariat de nos entreprises inscrites en Bourse, cela m'apparaît parfaitement justifié et pertinent. À la condition bien entendu que les placements en question soient effectués dans une perspective de rentabilité du patrimoine investi.

Il ne faut jamais perdre de vue que le patrimoine (l'actif net de 159 milliards) géré par la Caisse appartient à ses déposants (les employés de l'État et le peuple) et non au gouvernement du Québec.

Le rôle premier de la Caisse est de faire fructifier le patrimoine qu'on lui confie. Bien entendu, il y a plein d'entreprises québécoises qui présentent de belles perspectives de plus-value et qui représentent de très bons placements. Tant mieux si la Caisse y détient des blocs d'actions.

Mais que la Caisse soit appelée à acquérir à n'importe quel prix des blocs d'actions de sociétés québécoises dans le dessein de bloquer des OPA, là je décroche! C'est une stratégie hautement risquée que d'utiliser le patrimoine des Québécois à de telles fins.

Si le gouvernement du Parti québécois sent le besoin de bloquer des OPA étrangères, qu'il le fasse avec les institutions pro-Québec appropriées, comme Investissement Québec, le Fonds de la FTQ, Fondaction, Capital régional et coopératif Desjardins...