Le juge Marc-André Blanchard, de la Cour supérieure, a interdit au gouvernement fédéral de détruire les données du registre des armes d'épaule recueillies au Québec. Selon le jugement rendu lundi, l'article de loi prévoyant l'effacement de ces renseignements «empiète de façon très substantielle, même exorbitante sur les pouvoirs des provinces» en empêchant l'une d'entre elles, le Québec, de combler le vide laissé par la décision d'Ottawa d'abolir le registre.

Le gouvernement canadien portera sans doute la cause en appel. Nous laisserons aux juristes et aux tribunaux le soin d'apprécier la justesse du raisonnement du juge Blanchard.

Cependant, le fédéralisme n'est pas seulement un édifice juridique. C'est surtout une oeuvre politique. Or, de ce point de vue, l'attitude du gouvernement Harper dans ce dossier est carrément inadmissible.

Il fut un temps où Stephen Harper prônait le «fédéralisme d'ouverture». Dans certains domaines, il a respecté cette approche. Dans d'autres, il a été plus loin que le «fédéralisme centralisateur» qu'il accusait les libéraux de pratiquer.

Il est arrivé qu'Ottawa intervienne dans un champ de compétence provincial parce que les provinces elles-mêmes refusaient d'agir; on pense à l'assurance-santé. Dans le dossier des valeurs mobilières, le gouvernement conservateur a créé un précédent en tentant d'expulser les provinces d'un domaine où non seulement elles avaient compétence, mais exerçaient pleinement cette compétence. Heureusement, la Cour suprême a rappelé Ottawa à l'ordre.

Dans le dossier du registre des armes d'épaule, le gouvernement Harper crée un autre précédent. Il ne s'est pas contenté d'abolir le système d'enregistrement; pour empêcher le Québec de prendre le relais, il projette de détruire toutes les données recueillies jusqu'à maintenant. M. Harper invente une nouvelle sorte de fédéralisme, le fédéralisme de la terre brûlée.

Comme le démontre le juge Blanchard, la mise sur pied et le fonctionnement du registre des armes à feu résultent d'une collaboration étroite entre les gouvernements canadien et provinciaux. «Il rebute au sens commun, pour ne pas dire au bien commun, que l'on puisse empêcher le Québec d'utiliser les données qu'il participe à colliger, analyser, organiser et modifier», écrit le magistrat.

Les conservateurs affirment que, s'étant engagés à abolir l'enregistrement des armes à feu, ils ne peuvent pas logiquement aider une province à mettre en place un système semblable. Soit. Mais de là à lui mettre les bâtons dans les roues, il y a un pas qu'Ottawa ne devrait pas franchir.

En mettant fin à l'enregistrement des armes longues, le gouvernement Harper a rempli la promesse faite à ses partisans. Qu'il laisse maintenant le gouvernement du Québec agir, comme le souhaite la grande majorité des Québécois. Aux chasseurs et autres mécontents qui le lui reprocheront, M. Harper n'aura qu'à dire de s'en prendre à la province.