J'étais en train de discuter avec Carl Vallée, attaché de presse de Stephen Harper, dans le hall du Hilton Bonaventure, où ce dernier venait de prononcer un discours, lorsqu'une policière du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) est passée en trombe, grosses lunettes de soleil lui bouffant la moitié du visage, un chewing-gum dans la bouche, un dossard vert fluo sur le dos et son bâton traînant presque par terre en raison de sa petite taille.

On a beau commencer à être habitués, à Montréal, de voir des flics partout, la scène, qui se déroulait entre gens affairés en costard dans le hall et des clients en maillot de bain couchés au bord de la piscine était néanmoins un peu surréaliste.

Quelques minutes plus tard, j'ai entendu la même policière dire à un client, devant l'ascenseur: «Ils [les manifestants devant l'hôtel] ne sont pas nombreux, mais ils sont là, collés à l'asphalte, et pas moyen de les décoller.»

Sur le coup, j'ai eu l'image de quelqu'un en train d'essayer de décoller un steak du fond d'une poêle en vociférant...

Effectivement, ce lundi après-midi, les manifestants «collés à l'asphalte» devant le Hilton n'étaient pas nombreux, mais la police, elle, était omniprésente. Et comme leur collègue aux Ray-Ban aviateur, les policiers semblaient avoir atteint leur limite supérieure de l'exaspération.

On peut les comprendre. Après tout, comme me le faisait remarquer hier leur porte-parole, Ian Lafrenière, aucun corps de police en Amérique du Nord n'a été soumis à un tel régime de manifestations pendant une période aussi longue. «Les policiers n'ont pas demandé cette crise et ils ont hâte, eux aussi, de retrouver leur vie. Pour nous, c'est le jour de la marmotte...», a dit M. Lafrenière, qui semble lui aussi mûr pour un répit.

Dans ce climat de tension permanente, il est inévitable que surviennent des accrocs aux bonnes pratiques policières généralement reconnues, quand ce ne sont pas carrément des dérapages, comme l'ont montré de nombreuses photos et vidéos. Comme l'a prouvé, aussi, le reportage des collègues du Devoir, qui ont fait la démonstration, la fin de semaine dernière, de la traque aux carrés rouges par la police.

Au sujet des dérapages, Ian Lafrenière reconnaît que tout n'est pas toujours fait comme cela devrait l'être, que le langage utilisé par les policiers n'est pas toujours adéquat. Il ajoute toutefois que les médias sociaux propagent rapidement des rumeurs, qui deviennent parfois des légendes urbaines, et le SPVM, trop occupé par la gestion quotidienne des manifs, manque de temps et de ressources pour mener les vérifications internes sur les faits et gestes de ses agents.

Les flics en ont plein les bras (et plein leur casque), soit. Toutes sortes d'informations circulent sur Twitter, soit. Nous vivons une crise sans précédent, soit. Mais beaucoup de gens posés, groupe dont j'ai la prétention de faire partie, se posent de graves questions devant certains récits, certaines vidéos et photos, certaines méthodes de la police, devant le nombre effarant d'arrestations et devant certaines réponses des autorités. Les gens qui racontent, ecchymoses à l'appui, avoir été brutalisés ne sont pas tous des fabulateurs en manque d'attention. Idem pour les cas, nombreux, de citoyens arrêtés pour des raisons arbitraires et traités comme des bandits. Idem pour les gens arrêtés préventivement, puis relâchés sans accusation. Sans parler des jeunes manifestants grièvement blessés à Montréal ou à Victoriaville. Plusieurs semaines plus tard, on ne sait toujours pas ce qui s'est vraiment passé.

La méfiance de bien des gens à l'endroit des forces policières est non seulement légitime, mais elle est exacerbée par un phénomène très particulier: c'est la police qui enquête sur la police, et celle-ci, on le sait, n'est pas une grande adepte de la transparence et de l'autocritique. Facile de muter la policière «matricule 728» parce qu'elle s'est fait prendre sur vidéo à «poivrer» un peu trop généreusement un manifestant calme et inoffensif, mais qu'en est-il des cas moins documentés, moins «youtubisés» ? Des enfants de 14 ans arrêtés pendant des heures sans que leurs parents ne soient prévenus? Des jeunes insultés, malmenés, menottés et laissés au soleil pendant des heures?

Qui, par ailleurs, demande des comptes au chef du SPVM (Marc Parent) lorsque celui-ci induit la population (et les gouvernements municipal et provincial) en erreur? Lundi, M. Parent a tenu un point de presse pour dire que certaines personnes arrêtées préventivement au cours de la fin de semaine représentaient une menace pour le déroulement du Grand Prix. Le lendemain, ses propres subalternes le contredisaient: en fait, il s'agissait plutôt de quelques badauds inoffensifs.

Dans l'intervalle, le premier ministre Charest et le maire Tremblay avaient tout de même affirmé que le SPVM avait fait un travail exemplaire. Sur quelle base? Sur la base des rapports de la police, qui est juge et partie, bien sûr.

Plusieurs (j'en suis) réclament une enquête indépendante sur les pratiques policières durant ce conflit. Personne ne s'y opposerait au SPVM, croit Ian Lafrenière, qui pense que cela permettrait d'expliquer et de clarifier bien des choses.

À Québec, Québec solidaire l'a formellement demandé, tandis qu'au PQ, l'idée fait son chemin.

«On devra avoir une réflexion à la lumière de ce que nous avons vécu depuis des mois, dit le député Stéphane Bergeron. On entend toutes sortes de choses, notamment des policiers qui cachent leur matricule. Je crains un excès de confiance et un sentiment d'impunité de la police, à qui le gouvernement a donné des pouvoirs extraordinaires, qui mèneraient à des dérapages. Déjà, on a vu des violations flagrantes de droits fondamentaux.»

En ce moment, le climat est trop tendu pour analyser le travail de la police, mais à moins de considérer que les évènements des derniers mois ne sont que des faits divers sans importance, il faudra bien un jour se taper cet exercice. Pour vrai. Pas juste en demandant à la police d'enquêter sur la police.

vincent.marissal@lapresse.ca