Premier grand défi de Denys Jean, le nouveau président-directeur général de la Régie des rentes du Québec (RRQ): secourir les entreprises dont le régime de retraite offert à leurs employés souffre d'un lourd déficit de solvabilité.

Comment ce haut fonctionnaire de carrière, en poste depuis seulement sept semaines, va-t-il s'y prendre pour régler la fabuleuse crise de solvabilité qui frappe depuis plusieurs années les centaines de régimes complémentaires de retraite à prestations déterminées en raison de la faiblesse des taux d'intérêt à long terme et des secousses sismiques boursières?

Au cours de l'entrevue accordée à La Presse, il nous a livré les grandes lignes de son scénario.

Un, le gouvernement du Québec va commencer par prolonger pour une durée de deux ou trois ans les mesures d'allègement actuellement en vigueur, mais qui devaient se terminer le 31 décembre prochain. En vertu de la Loi sur les régimes complémentaires de retraite, ces mesures permettent entre autres aux entreprises de renflouer leur déficit de solvabilité sur une période de 10 ans au lieu de seulement 5 ans. Cette extension des mesures d'allègement permettra aux entreprises de souffler en attendant de trouver une solution permanente. Deux, pendant ce délai, la RRQ mènera une réflexion approfondie sur l'épineux problème de solvabilité des régimes privés de retraite à prestations déterminées, dont la particularité consiste à offrir aux retraités une rente de retraite relativement généreuse.

Trois, cette réflexion devrait se traduire par la mise en place d'une réforme de la Loi sur les régimes complémentaires de retraite, fort probablement moins contraignante pour les employeurs.

Quand le gouvernement pourrait-il adopter une telle réforme? Vraisemblablement vers 2014.

«Je peux vous confirmer, affirme M. Jean, que dès que je suis arrivé, la première rencontre que j'ai eue avec la ministre (Julie Boulet, de l'Emploi et de la Solidarité sociale), a essentiellement porté là-dessus, sur les régimes complémentaires de retraite, et surtout les enjeux qui se profilent pour l'avenir. On a donc établi avec elle un plan de travail, des actions à prendre...»

«Au moment où on se parle, il y a des problèmes majeurs. La plupart de ces entreprises ont des états financiers à publier au 31 décembre prochain. Puis, avec les nouvelles règles comptables, les déficits de solvabilité apparaissent directement. Alors, dans les prochaines semaines, le plus rapidement possible, la ministre veut proposer au gouvernement au minimum de prolonger les mesures d'allègements, tels le remboursement sur 10 ans du déficit, le lissage de l'actif. Et on essaie de voir s'il n'y a pas d'autres choses qu'on pourrait faire», précise-t-il.

Un habitué des grandes crises

Originaire de Chicoutimi, «donc pas un bleuet, blague-t-il», Denys Jean, 57 ans, n'en est pas à son premier grand défi. C'est un habitué des grandes crises qui ont interpelé le gouvernement du Québec au fil des décennies. Des exemples célèbres: la crise concernant l'élimination des BPC de Saint-Basile-le-Grand, celle des fusions des municipalités sous la ministre péquiste Louise Harel et celle des défusions municipales sous le ministre libéral Jean-Marc Fournier.

Après son bac en sciences économiques, il devient le premier directeur général de la corporation des secrétaires municipaux. C'est à ce moment-là que Claude Ryan, chef de l'opposition libérale, le repêche comme attaché politique pour lui donner un coup de main sur le projet de loi 57 sur la fiscalité municipale que le ministre Jacques Parizeau avait déposé.

«Je me suis retrouvé là pour donner un coup de main sur la fiscalité municipale et je suis resté 13 ans dans le giron politique.» Il y a occupé des postes de directeur du cabinet de plusieurs ministres libéraux.

«Et en 1991, j'ai été nommé sous-ministre adjoint à l'environnement par monsieur Bourassa. J'y ai passé huit ans.» Par la suite, il a enchaîné des postes de sous-ministre aux Affaires municipales, au Transport, aux Services gouvernementaux. Et Secrétaire du Conseil du trésor...

«Ça me fait donc 20 ans derrière la cravate comme haut fonctionnaire.»

Pourquoi vous a-t-on choisi comme PDG de la RRQ?

«Premièrement, parce que j'ai postulé. Je trouvais que cette boutique-là (la RRQ) était intéressante en termes de gestion. Je me suis dit, je vais tenter ma chance, je vais envoyer mon CV. J'ai passé à travers le comité de sélection, ils m'ont retenu, puis ils m'ont recommandé au gouvernement.»

Selon Denys Jean, il y a des gros enjeux à la Régie des rentes. Non seulement doit-il régler la crise des régimes de retraite privés, mais, en plus, il arrive au moment où les marchés boursiers traversent une période trouble qui risque d'affecter lourdement le rendement annuel de la réserve de 34 milliards de dollars du régime des rentes.

La crise boursière ne semble pas trop le perturber pour le moment, faisant confiance à la politique des placements de son comité de placements et à la Caisse de dépôt et placement du Québec.

Du côté du Régime des rentes du Québec, la décision du gouvernement Charest de relever progressivement le taux de taux de cotisation de 9,9 à 10,8% d'ici 2017 et celle concernant la nouvelle modulation de calcul de la rente selon la retraite hâtive ou tardive permettent d'assurer la pérennité du régime. Et ce, malgré la mauvaise performance des marchés à court terme.

Comme la RRQ compte sur un rendement historique de quelque 8,6%, cela le rassure. Il faut toutefois rappeler ici que le rendement de la réserve de la RRQ est pas mal moins reluisant depuis les 10 dernières années. Le rendement annuel moyen ne s'élève qu'à 4,0% au cours de la période allant de 2001 à 2010.

«Ma responsabilité: on a une réserve à placer. Puis, il faut qu'elle donne les meilleurs rendements. Mon fiduciaire, moi, c'est la Caisse de dépôt. Je suis obligé de lui envoyer mon argent. La politique de placements actuellement en vigueur date de deux ans. Elle va être à revoir prochainement. À partir de cela, il va falloir tirer des leçons des marchés pour essayer de garantir un rendement maximum.»

Des travailleurs à risque

Par ailleurs, Denys Jean se dit particulièrement préoccupé par l'importante tranche de travailleurs (30 à 40%) qui n'économisent pas en vue de leur retraite.

Faut-il bonifier la rente de la RRQ à partir d'une hausse du plafond maximum de revenu admissible (48 300$), tel qu'on le suggère en Ontario?

«Il y a des provinces qui pensent qu'on devrait bonifier le régime public (Régime de pension du Canada, le pendant de la RRQ). D'autres ont plus tendance à dire qu'on devrait plutôt développer des outils plus collectifs, plus globaux pour les gens qui n'ont pas de régimes de retraite d'employeur. De ce côté-là, je pense que le gouvernement du Québec, avec sa proposition de régime volontaire d'épargne-retraite, veut faire un pas dans la bonne direction.»

Au cours des prochaines années, M. Jean s'attend à ce que la RRQ fasse l'objet d'une augmentation de la demande de l'ordre de 10 à 13%. Son défi: dans le contexte des restrictions budgétaires, il va lui falloir gérer cette croissance de la demande avec des ressources à peu près équivalentes.

«C'est donc dire qu'il faut faire beaucoup de travail au niveau des processus, au niveau de notre façon de faire, d'utiliser les technologies de l'information pour rendre le service plus rapidement aux citoyens.»

Et bonne nouvelle: Denys Jean veut simplifier la bureaucratie, de l'acte de naissance jusqu'à l'acte de décès.

Parole de Denys Jean: le but est de devenir plus efficace auprès des citoyens, de rendre les choses plus simples...

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LA RRQ EN CHIFFRES

L'ORGANISATION

Un budget annuel d'environ 150 millions

Un personnel de 1232 employés

Un siège social à Québec, avec 9 centres régionaux de services Une réserve de 34 milliards, gérée par la Caisse de dépôt et placement du Québec

Rendement annuel moyen depuis la création en 1966: 8,6%

Rendement moyen des 10 dernières années : 4,0%

LE RÉGIME DES RENTES

Nombre de cotisants à la RRQ: 3,9 millions de travailleurs

Montant annuel des cotisations perçues : 10,4 milliards

Nombre total de bénéficiaires : 1 645 000

Répartition des bénéficiaires : 1 415 900 d'une rente de retraite, 352 100 d'une rente de conjoint survivant, 71 000 d'une rente d'invalidité, 16 000 d'une rente d'orphelin, 7900 d'une rente d'enfant de cotisant invalide.

Montant annuel des prestations versées aux bénéficiaires : 10,1 milliards

LE SOUTIEN AUX ENFANTS

Nombre de familles bénéficiaires : 866 000

Prestations versées à titre de paiement de soutien: 2 milliards

LES RÉGIMES COMPLÉMENTAIRES DE RETRAITE

Nombre de régimes surveillés par la RRQ: 1290

Nombre de participants et bénéficiaires : 1 361 000

Montant d'actifs sous surveillance: 95 milliards