Les manifestations qui ont eu lieu en fin de semaine dans quelque 1000 villes du monde pour dénoncer les dérives du capitalisme ont frappé l'imagination de beaucoup de gens. C'est sans doute la première fois de l'histoire qu'un mouvement citoyen se tient simultanément dans autant de lieux, avec des méthodes et des slogans communs («Nous sommes les 99%!»). De plus, la grande majorité des habitants de la planète partage la colère des «occupants» contre les inégalités générées par un système financier déréglé que les gouvernements semblent incapables de mater.

L'évidence des injustices est telle que l'élite financière n'ose pas en contester l'existence. «Les jeunes sont en colère contre le monde de la finance. Je les comprends», a laissé tomber Mario Draghi, gouverneur de la Banque d'Italie, bientôt patron de la Banque centrale européenne.

Sous le charme de la spontanéité du mouvement, rares sont ceux qui ont noté le petit nombre de manifestants qui se sont rassemblés dans la plupart des villes. À Montréal, au plus fort de l'«occupation» du Square Victoria, il y avait au maximum 2000 personnes. Ce n'est pas négligeable, mais c'est beaucoup moins que lors d'autres manifestations. En février 2004, 4000 personnes avaient protesté contre la construction de la centrale du Suroît. Deux ans plus tard, 3000 personnes avaient dénoncé la vente au secteur privé d'une partie du mont Orford.

La région de Montréal compte 3,9 millions d'habitants. Les 2000 manifestants de samedi ne constituaient donc qu'une microscopique minorité des 99% des résidants de la région prétendument en colère (le vrai pourcentage est certainement moins élevé) contre le système capitaliste. Où était l'autre 98%? Trop occupé pour occuper?

Sauf dans quelques villes européennes, le nombre de manifestants a été modeste, comme à Montréal. La passivité relative de la population canadienne s'explique sans doute par la situation économique enviable que connaît le pays. Mais aux États-Unis, en France, en Grande-Bretagne, on s'étonne que la colère populaire ne se soit pas exprimée plus puissamment en fin de semaine.

On peut penser que l'absence de revendications précises du mouvement Occupy Wall Street, soulignée par plusieurs commentateurs, nuit à la mobilisation. En effet, il est évident que de vagues appels à la justice sociale ne convaincront pas les banquiers d'adhérer à la simplicité volontaire. Parce que la démarche des jeunes manifestants leur paraît naïve, la majorité des gens ne s'y joignent pas, même s'ils sont sympathiques à leurs idées. Si cette hypothèse est juste, les manifestations risquent de s'essouffler.

Pour grossir ses rangs, le mouvement devrait convenir de revendications communes, à la fois ambitieuses, ciblées et réalistes. Pour l'instant, il n'en a pas la volonté. Il n'est pas certain non plus qu'il en aurait la capacité.

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