À première vue, voilà de quoi étonner: le Brésil vient de proposer que les pays émergents du BRICA viennent en aide aux pays de la zone euro, empêtrés dans le bourbier que l'on sait.

Vous avez bien lu BRICA avec un A. C'est que le club des grands pays émergents (Brésil, Russie, Inde, Chine) vient d'accueillir une nouvelle recrue, l'Afrique du Sud (hélas, tous les médias de France parlent du BRICS, comme dans «South Africa» - en revanche, Exportation et Développement Canada utilise bien BRICA).

Toujours est-il que les ministres des Finances des cinq pays se réuniront la semaine prochaine à Washington pour voir comment ils peuvent contribuer à aider les Européens à se sortir du trou.

Il est loin d'être certain que cette rencontre donne des résultats impressionnants, pour trois raisons.

D'abord, parce que la proposition brésilienne est accueillie assez froidement dans trois des cinq pays. La Russie évacue habilement le problème en proposant que la meilleure instance pour aborder la question, ce n'est pas le BRICA, mais le G20. L'Inde fait valoir qu'elle n'est pas intéressée à investir davantage dans les obligations de la zone euro. L'Afrique du Sud dit qu'elle n'en a pas les moyens. Ça promet!

D'autre part, «l'aide» que pourraient apporter les cinq pays se limitera probablement à l'achat d'obligations de la zone euro. Or, pour des raisons évidentes, personne n'est intéressé à acheter des titres de créance grecs, portugais ou irlandais. Il se peut donc que la réunion de la semaine prochaine débouche sur l'achat d'obligations allemandes ou néerlandaises. On ne voit pas comment cela peut contribuer à atténuer la crise.

Enfin, ce dont la zone euro a le plus besoin, ce n'est pas d'argent, mais d'une discipline fiscale et budgétaire beaucoup plus stricte que maintenant, ce qui demandera des efforts énormes.

En ce sens, l'initiative brésilienne apparaît comme un grand coup d'épée dans l'eau. Mais on pourrait avoir des surprises parce qu'en bout de ligne, tout dépend de la Chine, et que la Chine n'a pas intérêt à voir l'Europe, son grand marché d'exportation, s'enfoncer dans la misère.

N'empêche! Voilà une image d'une force inouïe: les pays «pauvres» qui volent au secours des pays «riches». Le monde à l'envers, quoi!

Il y a à peine 20 ans, lors de l'implosion de l'ex-empire soviétique, le monde entier a pu constater que les Russes étaient beaucoup plus pauvres que le disaient les chiffres officiels, manipulés par les économistes soviétiques. Il y a 30 ans, le Brésil était un pays en faillite. Dans les années 70, qui aurait pu dire que des pays comme l'Afrique du Sud et l'Inde seraient en mesure d'offrir, le plus sérieusement du monde, leur aide aux pays européens? Et quand j'étais au primaire, comme des milliers d'écoliers québécois, j'achetais des petits Chinois!

Il se trouve que les choses ont changé, à un degré à peine concevable il y a quelques décennies. Voici quelques chiffres qui donnent à réfléchir.

La taille de l'économie des 17 pays de la zone euro réunis (Allemagne, France, Italie, Espagne, Pays-Bas et une douzaine d'autres) est de 11 400 milliards de dollars (1).

Les cinq pays du BRICA, de leur côté, affichent un Produit intérieur brut (PIB) de 19 100 milliards.

Certes, sur une base per capita, les Européens demeurent trois fois plus riches que les Russes, quatre fois plus que les Brésiliens, six fois plus que les Chinois, treize fois plus que les Indiens.

En revanche, sur le plan économique, le BRICA pèse deux fois plus lourd que la zone euro.

Ce n'est pas tout. La Chine, à elle seule, possède 3000 milliards de dollars de réserves de change; le Brésil, 300 milliards. Ce sont des situations financières à des années-lumière du cul-de-sac européen.

L'acteur qui ressort de tout cela, c'est évidemment la Chine. Sans la Chine, le BRIA ne serait qu'un quarteron de puissances économiques importantes, certes, mais d'une influence limitée.

Le PIB de la Chine, à lui seul frise les 11 100 milliards; c'est plus que les quatre autres pays du BRICA réunis. C'est autant que la zone euro. À Washington la semaine prochaine, ce n'est pas la Russie, et encore moins l'Afrique du Sud, qui va décider. C'est Pékin.

Telle est la nouvelle réalité.

(1) Tous les montants cités dans cette chronique proviennent du dernier rapport annuel de la Banque Mondiale.