Mon collègue Denis Lessard avait beau l'avoir évoquée dans La Presse cette semaine, je n'arrivais pas à y croire. Aussi ai-je été sidérée d'apprendre la nomination de Michael Sabia à la tête de la Caisse de dépôt et placement du Québec.

Quelle mouche a piqué le conseil de la Caisse? Le gouvernement de Jean Charest est-il tombé sur la tête? Pense-t-il vraiment restaurer la crédibilité de la Caisse en plaçant Michael Sabia aux commandes? Chose certaine, s'il voulait faire diversion à la comparution forcée de la ministre des Finances, Monique Jérôme-Forget, en commission parlementaire, chapeau! C'est réussi.

 

Le problème de Michael Sabia, précisons-le d'emblée, ne se trouve pas dans ses origines ontariennes. Ce dirigeant de 55 ans habite la métropole depuis 16 ans avec sa femme, Hilary Pearson, et leur fille, Laura. Il est parfaitement intégré à la communauté d'affaires de Montréal. Qui plus est, Michael Sabia comprend très bien le français, même s'il s'exprime parfois avec hésitation dans la langue de Réjean Ducharme.

Bref, Michael Sabia serait un excellent candidat qu'on ne trouverait rien à redire du fait qu'il est né à St. Catharines, dans la péninsule du Niagara, d'un père chirurgien et d'une mère animatrice de radio.

Le problème de Michael Sabia ne vient pas plus de l'échec du rachat de BCE par un consortium piloté par la caisse de retraite Teachers'. La direction de BCE aurait certes pu régler à l'amiable son différend avec les détenteurs d'obligations mécontents plutôt que de laisser les choses traîner devant les tribunaux. Mais c'est la crise du crédit qui a condamné cette colossale acquisition par emprunt de 51,7 milliards de dollars. Michael Sabia n'y pouvait rien.

Le problème de Michael Sabia, c'est sa feuille de route chez BCE, qui n'inspire pas confiance. Pour que Teachers', un investisseur institutionnel qui n'est pas réputé pour son agressivité, s'impatiente et brasse la cage, c'est que BCE n'allait nulle part et que son titre piétinait en Bourse.

Michael Sabia a succédé à Jean Monty à la tête de BCE en 2002 même si ses trois années à la tête de Bell Canada International (BCI), un opérateur sans fil actif en Amérique latine, ont été désastreuses. Trop ambitieuse, trop pressée, BCI s'est fait surprendre par la dévaluation de la monnaie brésilienne et par l'éclatement de la bulle techno.

Lorsqu'il a été nommé grand patron, Michael Sabia a fait le ménage au conglomérat montréalais qui collectionnait des sociétés aux vocations éloignées de sa mission première en télécoms. Adieu, Téléglobe, BCI, CGI, BCE Emergis! À bientôt, Bell Globemedia! BCE a même fait un gros coup de fric lorsqu'il a cédé sa filiale Télésat Canada.

Alors qu'il mettait en oeuvre les leçons apprises lors de la privatisation du Canadien National (CN), Michael Sabia semblait parfaitement dans son élément. Toutefois, le dirigeant ne semblait pas savoir quoi faire avec tout cet argent. Rembourser la dette? Augmenter le dividende? Racheter des actions? Se convertir en fiducie de revenu? Un mélange de tout cela?

Michael Sabia a été incapable de donner une nouvelle impulsion à Bell Canada, attaquée de toutes parts par ses concurrents. Sa stratégie d'offrir des forfaits «différenciés», sous-entendu de meilleure qualité, mais à prix plus élevés, s'est retournée contre Bell lorsque le service à la clientèle a connu des ratés, notamment chez Bell Mobilité.

Puis, Bell Canada a tardé à réaliser les investissements dans ses réseaux de télécommunications qui lui auraient mieux permis de résister à la concurrence des câblodistributeurs, retard dont elle paie encore le prix.

Bref, lorsque le nouveau président du conseil de la Caisse, Robert Tessier, affirme avoir eu une «révélation» en voyant le nom de Michael Sabia sur la liste épurée des candidats soumise par les chasseurs de têtes Egon Zehnder International, une impression si forte qu'il n'a pas jugé bon d'interviewer le seul autre candidat supposément intéressant et intéressé par le poste, il est permis de se demander s'il n'en avait pas fumé du bon...

La nomination de Michael Sabia surprend d'autant plus que son expertise en placement, en gestion du risque, en immobilier et en produits dérivés est très limitée. Tout au plus a-t-il fait partie des comités de placement des régimes de retraite des employés du CN et de Bell. Et ce n'est pas Robert Tessier qui palliera ces lacunes, lui qui a fait carrière dans l'industrie gazière et la fonction publique. Heureusement que le conseil étoffe son expertise en finance avec l'arrivée d'administrateurs comme Réal Raymond, l'ex-président de la Banque Nationale.

Michael Sabia est un mauvais choix qui s'est fait dans l'improvisation la plus totale, sur un coin de table. Entre attendre des mois pour trouver un successeur à Richard Guay et prendre cinq jours pour nommer un président dans la précipitation, à un moment critique de l'histoire de la Caisse, il y avait un grand pas à ne pas franchir.

Seulement quatre administrateurs ont «sélectionné» Michael Sabia en cinq jours. Deux de ceux-ci sont membres du conseil de la Caisse depuis une grosse semaine. Parmi eux, l'avocat Jean-Pierre Ouellet, qui connaît très bien Michael Sabia. Ce nouvel administrateur était chef des affaires juridiques du CN à l'époque où Sabia était responsable de la direction financière du transporteur ferroviaire.

Les explications fournies hier étaient d'ailleurs cousues de fil blanc. Michael Sabia n'était apparemment pas intéressé par le poste l'automne dernier, lorsqu'on l'a sondé pour la première fois. Il n'a d'ailleurs pas eu d'entrevue. Mais l'arrivée de Robert Tessier et de nouvelles circonstances familiales (inexpliquées) l'auraient fait changer d'idée, a-t-il dit.

Le hic, c'est que Michael Sabia a exprimé son nouvel intérêt avant même que Robert Tessier ne soit sélectionné.

Si le gouvernement de Jean Charest cherchait à restaurer la crédibilité de la Caisse, ternie par l'administration Rousseau-Guay, avec cette nomination à la va-vite qui fleure bon l'influence politique, il a accompli tout le contraire.