L'autre soir, chez Marie-France Bazzo à Télé-Québec, nous étions quelques maniaques de politique à s'exciter comme des enfants la veille de Noël en parlant du discours que Barack Obama prononcera aujourd'hui à Washington lors de son investiture.

Du coup (c'était immanquable), je n'ai pas pu m'empêcher de penser: c'est quand la dernière fois que je me suis enthousiasmé à l'approche d'un discours de l'un de nos politiciens, sur la scène provinciale ou fédérale?

Réponse très franche? Je ne me souviens pas. Probablement parce que ce n'est pas arrivé depuis des lustres.

Pour retrouver un certain niveau d'émotion dans un discours politique, ici, je dois retourner dans mes souvenirs de Lucien Bouchard. Son fameux discours inaugural intitulé «Oser», notamment, à l'Assemblée nationale en 1996. Ou celui de la main tendue à la communauté anglophone, la même année, au théâtre Centaur.

Sur la scène fédérale, l'« honneur et l'enthousiasme » de Brian Mulroney, en 1984, est classé dans la catégorie des grands discours, de même que quelques envolées du même homme lors de la campagne de Charlottetown.

Mais, en général, si vous branchiez sur un électrocardiogramme le public des discours de nos leaders, vous n'obtiendriez guère plus que les pulsations normales d'une personne adulte à moitié assoupie.

Pour tout vous dire, le dernier «politicien» à m'avoir vraiment fait vibrer, c'était... Bono, le chanteur de U2, qui avait lancé «The world needs more Canada» lors du congrès libéral au cours duquel Paul Martin avait succédé à Jean Chrétien, en 2003.

Il avait fallu qu'un chanteur irlandais vienne à Toronto pour expliquer avec autant de conviction la place du Canada dans le monde. C'est gênant...

Quand on couvre la politique dans ce pays, on attend parfois un discours, comme le soir d'une adresse à la nation, mais on ne s'attend jamais à grand-chose.

Bien sûr, Barack Obama possède un talent exceptionnel. Un talent qui explose encore plus librement après huit ans de morne «bushisme».

Tous les politiciens américains ne sont pas des tribuns aussi remarquables, mais on retrouve chez nos voisins du Sud une plus forte concentration de maîtres des mots.

Prenez Hillary Clinton, pourtant moins douée que son président, qui a résumé la semaine dernière en une phrase bien sentie la nouvelle politique extérieure des États-Unis : «Les États-Unis, a-t-elle dit, ne peuvent régler seuls tous les problèmes pressants du monde, mais le monde ne peut régler ces problèmes sans les États-Unis.»

Ici, l'art oratoire et l'importance des mots semblent s'être perdus.

Un exemple? Quand les chefs fédéraux ont revu en vitesse la formule du dernier débat télévisé pour consacrer plus de temps à l'économie, qu'est-ce qui a sauté, avec l'assentiment de tous? Les discours d'ouverture et de clôture, des moments pourtant uniques de parler directement aux électeurs, sans interférence ni filtre. Faut croire que les chefs eux-mêmes n'accordent pas beaucoup d'importance à leur pouvoir de persuasion.

Les discours électoraux ne sont pas plus mémorables. Entre les clips de Mario Dumont, les tics de langage de Pauline Marois et les innombrables fautes de français de Jean Charest, les mots s'envolent sans laisser de traces durables.

À Ottawa, il faut en plus ajouter les problèmes dus au niveau de connaissance de l'autre langue officielle.

La faiblesse généralisée de nos tribuns ne se limite toutefois pas à leur manque de talent et de conviction. Au-delà du choix des mots et des formules, il faut aussi avoir quelque chose à dire. Il faut saisir l'importance du moment, avoir le sens non seulement de la phrase, mais d'abord de l'événement.

Dans son autobiographie de plus de 500 pages intitulée Counselor, l'ancien conseiller spécial de John F. Kennedy, Ted Sorensen, retrace l'épopée fantastique de l'ancien président à travers les discours prononcés à chaque moment crucial de sa carrière.

L'art oratoire se perd, mais apparemment, les bons rédacteurs de discours aussi sont de plus en plus rares. Les scripteurs de nos politiciens auraient intérêt à lire la brique de Sorensen, qui consacre un long chapitre sur l'art d'écrire des discours.

JFK a marqué son époque parce qu'il a su coller des mots indélébiles sur ses grands événements. Le fameux: «Ne vous demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous, mais plutôt ce que vous pouvez faire pour votre pays» a presque 50 ans, et pourtant, ces paroles résonnent toujours avec force.

En ce sens, Barack Obama est probablement encore plus doué que son illustre prédécesseur.

Ses discours font déjà partie de la légende. Des centainùes de thèses s'écriront pour disséquer ses mots et des sites internet regroupent déjà les discours marquants (notamment: obamaspeeches.com).

Barack Obama est plus qu'un habile tribun. Ses grands discours sont plus qu'une collection de phrases-chocs. Ce sont des rendez-vous avec l'histoire. Avec son histoire, qui est devenue intimement liée à l'histoire de son pays.

De «Yes, we can», du New Hampshire en janvier, au «Race speech» de Philadelphie en mars, à son discours de Berlin en juin, à celui du soir de son élection, le 4 novembre (pour ne cibler que ceux-là), les mots d'Obama sont devenus, en quelques mois seulement, mille fois plus puissants que toutes les bombes des huit ans de règne de George W. Bush.