Les chercheurs en sont convaincus : pour être en santé, les Québécois devraient marcher davantage. Pourtant le gouvernement québécois démontre très peu d’ambition pour ce mode de déplacement doux. Le Québec est mûr pour une révolution par les pieds, estiment des experts joints par La Presse, qui y voient une manière de prévenir une panoplie de maladies liées à la sédentarité. Mais comment y arriver ?

« On n’a pas besoin d’être un athlète pour avoir des bénéfices. Il suffit de marcher. Pas besoin de faire un marathon ou un Ironman, surtout si vous vous considérez comme trop vieux ou pas assez en forme pour courir. Allez marcher. Ça va être bon pour votre corps et votre cerveau. »

L’homme qui parle ainsi au bout du fil est Arthur Kramer, directeur du Centre pour la santé cognitive et du cerveau de la Northeastern University, à Boston. Il sait de quoi il parle. Il a consacré sa carrière à ces questions.

En 2011, le professeur Kramer et ses collègues ont voulu savoir si l’activité physique pouvait influencer l’hippocampe, une région du cerveau associée à la mémoire spatiale⁠1.

Les chercheurs ont donc pris deux groupes de 60 adultes. Le premier réalisait des séances d’étirement et le deuxième marchait trois fois par semaine pendant 40 minutes. Après un an, le volume de l’hippocampe des membres du premier groupe s’était réduit. Celui du groupe des marcheurs avait augmenté d’environ 2 %.

Il ne s’agit que d’une des nombreuses études qui pointent vers une chose toute simple : la marche est bonne pour le corps et le cerveau.

Au bout du compte, dans toutes ces études, on montre que la marche, et surtout la marche soutenue, peut améliorer la santé cardiorespiratoire, mais aussi la mémoire, le raisonnement, la solution de problèmes, l’attention.

Arthur Kramer, directeur du Centre pour la santé cognitive et du cerveau de la Northeastern University

L’homme aujourd’hui âgé de 70 ans marche matin et soir pour aller au travail, soit plus de 6 km aller-retour. « J’investis dans mes vieux jours, mais surtout dans la qualité de mes vieux jours. »

Sortir de la zone à risque

Les chercheurs sont unanimes : la marche est bonne pour nous. Elle est presque accessible à tout le monde. Elle ne demande pas des mois d’entraînement, d’équipement compliqué et engendre très peu de blessures.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Certains pensent qu’elle pourrait faire épargner des millions de dollars au système de santé si elle était plus répandue comme outil de prévention. Pourtant, la marche stagne au Québec, selon les données très parcellaires qui existent. Le gouvernement québécois n’a même pas de portrait national sur la pratique de la marche et ses objectifs pour la favoriser sont tout sauf ambitieux.

« Ce qu’on ne fait pas au Québec, c’est la science de la prévention. Il est temps d’être sérieux là-dessus », lance en entrevue Jean-Pierre Després, professeur au département de kinésiologie de l’Université Laval.

M. Després a récemment publié La révolution active, un livre en forme de cri du cœur. Avec la progression de la sédentarité et le vieillissement de la population, le DDesprés craint un raz-de-marée de maladies chroniques associées au mode de vie : l’obésité, le diabète de type 2, les maladies cardiovasculaires…

La condition cardiorespiratoire est, explique-t-il, « le déterminant numéro un de votre trajectoire de vie, en santé ou malade ». Et pour l’améliorer, il faut bouger.

15 %

Une méta-analyse publiée en août dernier dans le European Journal of Preventive Cardiology conclut que pour chaque tranche de 1000 pas par jour, les risques de mortalité étaient réduits de 15 % et ceux d’une mortalité liée à une maladie cardiovasculaire de 7 %. « Les résultats indiquent que seulement 4000 pas par jour sont nécessaires pour réduire de manière significative le risque de mortalité », écrivent les auteurs, qui ont trouvé des gains même au-delà des 10 000 pas par jour. Accumuler 1000 pas prend environ 10 minutes de marche.

Source : European Journal of Preventive Cardiology

Consultez l’étude publiée dans le European Journal of Preventive Cardiology

Selon lui, la priorité est de rejoindre les Québécois les plus sédentaires. Ce sont eux, les plus à risque, le cinquième de la population avec la plus faible capacité cardiorespiratoire.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Jean-Pierre Després, professeur au département de kinésiologie de l’Université Laval

La science nous montre que [les sédentaires] ne sont pas deux fois plus à risque d’avoir des accidents cardiovasculaires – comme s’ils avaient un taux de cholestérol élevé ou de l’hypertension ou du diabète –, non, ils sont huit à neuf fois plus à risque de faire des accidents cardiovasculaires !

Jean-Pierre Després, professeur au département de kinésiologie de l’Université Laval

Pour désamorcer cette bombe à retardement, il conseille la marche. « Les gars vont dire : ce n’est pas un sport, la marche ! Si on a 25 % de la population qui est sédentaire et inactive, la marche est la solution par excellence. Ça ne coûte pas cher. À peu près tout le monde peut marcher. »

« La science nous dit que si vous allez marcher tous les jours, cette faible condition cardiorespiratoire là, vous allez progressivement l’améliorer. On ne fera pas des Alex Harvey de vous, dit-il. Mais on va vous sortir de la zone à risque. »

Québec navigue dans le noir

Malgré toutes ses vertus, la marche a perdu du terrain au Québec, comme ailleurs en Occident. On sait que nos ancêtres paysans marchaient beaucoup plus ; les hommes Amish, qui rejettent la technologie, marchent en moyenne 18 000 pas par jour, plus du triple du Canadien moyen.

10 000 pas par jour ?

D’où vient l’idée qu’il faille marcher 10 000 pas par jour pour être en santé ? Elle est née d’une campagne publicitaire pour un podomètre japonais en 1965. Mais ce chiffre ne relève pas que du marketing… Les études tendent à démontrer que l’effet optimal pour la santé est atteint aux alentours de 10 000 pas/jour. La bonne nouvelle ? Marcher « seulement » entre 5000 et 8000 pas/jour permet aussi de bénéficier de plusieurs effets positifs. Pour référence, marcher 10 000 pas équivaut à peu près à 8 km. « Selon les différentes études, nous faisons entre 4000 et 6685 pas par jour dans nos occupations quotidiennes, il y a donc un déficit de 3000 à 6000 pas par jour pour atteindre l’objectif de 10 000 pas par jour », précise l’Observatoire de la prévention de l’Institut de la cardiologie de Montréal. Ce que l’on sait également, c’est que la marche vigoureuse apporte encore plus de bénéfices.

Des données britanniques montrent même que la marche a continué son long déclin depuis les années 1990. Les responsables sont connus : la motorisation des transports, l’étalement urbain, l’omniprésence des écrans…

Comment faire dans ce contexte pour favoriser la marche ? Le gouvernement du Québec reconnaît dans sa Politique de mobilité durable qu’il faut faire la promotion des transports actifs. Mais ses objectifs sont bien modestes pour la marche.

Dans son plan d’action en transport actif 2018-2023, le ministère des Transports et de la Mobilité durable (MTMD) constate que la part modale de la marche dans tous les déplacements « connaît une régression depuis 10 ans ». Quelle cible se donne-t-il ? Il souhaite maintenir la part modale de la marche. En d’autres mots, Québec espère simplement stopper l’hémorragie.

« On se désole que la majorité de l’énergie de la Politique de mobilité durable ait été mise sur l’électrification des transports, on a laissé un peu de côté les efforts pour transférer vers des modes actifs et collectifs », avance Sandrine Cabana-Degani, directrice de Piétons Québec.

Elle note que le gouvernement québécois ne dispose pas de données sur la marche pour l’ensemble de son territoire. Pour mesurer ses progrès, Québec se fie en fait à des données pour Montréal, issues de l’Enquête origine-destination.

Québec s’est aussi doté de plusieurs cibles pour les transports actifs dans son plan d’action 2018-2023. Très peu ont été atteintes.

Le ministère des Transports voulait ainsi « instaurer un groupe de travail sur les outils économiques susceptibles de favoriser l’accessibilité au transport actif et sa mise en valeur au sein de la population ». Questionné par La Presse, le Ministère indique que ce groupe n’a finalement pas été créé, « compte tenu du contexte de la pandémie ».

On entend aussi très peu les ministres vanter la marche ou le vélo, alors que la voiture électrique est sur toutes les lèvres.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Sandrine Cabana-Degani, directrice de Piétons Québec

Ça me donne l’impression que ce n’est pas un mode qui est pris au sérieux. C’est sûr que les distances qu’on est capables de parcourir à pied sont quand même courtes, alors on ne voit pas la marche comme un mode de rechange à la voiture. Mais on oublie que les distances qu’on parcourt en voiture sont souvent parcourables à pied.

Sandrine Cabana-Degani, directrice de Piétons Québec

Selon les données du recensement de 2016, la moitié des Canadiens qui habitent à moins de 1 km du travail s’y rendent en voiture ; cette proportion est de 72 % pour ceux qui habitent entre 1 et 3 km du travail.

Le professeur Jean-Pierre Després en arrive à un constat bien simple : même si les maires et mairesses du Québec n’ont pas les budgets nécessaires pour mettre en œuvre des outils de santé publique, c’est peut-être bien par eux que la solution passe.

La révolution active, on fait ça comment ? Si ce n’est pas le provincial qui met la science de la prévention au service des citoyens, mon rêve, c’est de faire une coalition de citoyens et de communautés, de maires et de mairesses.

Jean-Pierre Després, professeur au département de kinésiologie de l’Université Laval

« Prenez une coalition de villes qui veulent faire la promotion de la santé, mais qui vont se donner les moyens de faire de la science de la promotion de la santé. J’espère qu’on va arrêter de faire du n’importe quoi. »

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Le neuropsychologue Louis Bherer

Le neuropsychologue Louis Bherer, grand adepte de la marche, constate aussi que la promotion des transports actifs est surtout l’affaire des villes en ce moment.

« Quand on parle d’activité physique et de santé préventive, c’est un choix de société, croit le DBherer, qui est chercheur au centre de recherche de l’Institut de cardiologie de Montréal. Prévenir les maladies, favoriser des modes de vie promoteurs de santé, ce n’est pas juste à l’individu de se poser la question, c’est à toute la société autour. »

« Quand les villes embarquent là-dedans et aménagent des trottoirs, des sentiers, des parcs, ça va favoriser la marche, note-t-il. C’est un choix de société qu’on doit faire tout le monde ensemble. »

Consultez l’étude d’Arthur Kramer et son équipe (en anglais)