Environ 1 % des propriétaires agricoles détiennent 13 % des terres cultivables au Québec, montre une compilation inédite réalisée par le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ). Ces 350 grands propriétaires possèdent ensemble une superficie plus de huit fois supérieure à celle de l’île de Montréal.

La concentration croissante des terres entre les mains d’un nombre restreint de grands propriétaires inquiète l’Union des producteurs agricoles (UPA) au point qu’elle demande à Québec de limiter la superficie que toute personne ou entité peut acquérir par année à des fins agricoles.

« C’est sûr que ç’a un impact sur le modèle d’agriculture qu’on a ici, qui est un modèle d’agriculture familial », souligne Martin Caron, président de l’UPA, le syndicat qui représente tous les agriculteurs de la province. Le choix social qui a été fait au Québec, note-t-il, « c’est d’avoir des entreprises à dimension humaine et familiale comparativement à d’autres pays où c’est beaucoup plus industrialisé ».

En 2023, les 350 plus grands propriétaires de terres agricoles au Québec possédaient 404 000 des 3,1 millions d’hectares de terres agricoles enregistrées au MAPAQ, soit 13 %. En 2007, cette proportion était de 9 %.

À titre comparatif, l’île de Montréal a une superficie d’environ 48 000 hectares.

Ces superficies sont majoritairement détenues par des exploitants agricoles (321 000 hectares).

En 2023, 32 870 propriétaires de terres agricoles ont été répertoriés dans la province.

Ces chiffres sont tirés d’un rapport publié récemment dans le cadre de la consultation nationale visant à moderniser la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles, adoptée il y a 45 ans.

« C’est un indicateur intéressant de la concentration de la propriété foncière au Québec. Cette concentration, elle est d’une part en quelque sorte logique dans la mesure où on sait qu’il y a des fermes qui sont engagées dans une croissance de leur entreprise et qui cherchent constamment à s’agrandir, mais ça interroge aussi la capacité de la loi sur la protection du territoire agricole à faire en sorte que tout le monde ait accès à la terre, et pas seulement les plus gros propriétaires », estime Patrick Mundler, professeur du département d’agroéconomie et des sciences de la consommation de l’Université Laval.

De plus en plus gros

Les 20 entreprises agricoles avec le plus de terres au Québec possédaient ensemble 113 600 hectares en 2023, contre 47 100 hectares en 2007, montre une seconde compilation effectuée par le MAPAQ pour La Presse.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

La superficie moyenne possédée par chaque propriétaire dans ce groupe a aussi plus que doublé, passant de 2400 hectares en 2007 à 5700 hectares en 2023.

Dans ses compilations, le MAPAQ ne nomme pas les plus grands propriétaires de terres agricoles.

En 2023, le plus grand propriétaire de terres agricoles au Québec possédait 12 200 hectares alors que le plus grand propriétaire en 2007 en possédait 6000.

« Une telle concentration n’est pas sans conséquence puisqu’elle réduit l’accessibilité aux terres pour la relève agricole », estime pour sa part Carole-Anne Lapierre, porte-parole de l’Alliance SaluTERRE, une coalition qui vise à protéger les terres agricoles au Québec.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

La porte-parole de l’Alliance SaluTERRE, Carole-Anne Lapierre

« De plus, la concentration est liée à une spécialisation accrue des activités sur une ferme visant alors les marchés d’exportation, phénomène qui tend à détacher les entreprises agricoles de leurs liens avec les communautés locales et réduit leur apport à la vitalité économique des régions », ajoute-t-elle.

Tendance « alarmante »

Au Québec, la valeur des terres agricoles a triplé depuis 10 ans, montrent des données colligées par la Financière agricole du Québec.

Dans le mémoire qu’elle vient de déposer à la consultation nationale sur les terres agricoles, l’UPA demande à Québec de mettre en place un registre détaillé consignant la propriété et les transactions relatives au foncier agricole au Québec.

Pour mettre un frein à la tendance « alarmante » vers la concentration croissante des terres, le syndicat demande aussi de limiter la superficie qu’il est possible d’acheter annuellement à des fins agricoles autres que le transfert intergénérationnel.

« Les grands propriétaires fonciers agricoles risquent d’attirer l’attention d’investisseurs agricoles tels que les fonds d’investissement. En effet, la capitalisation de ces grands propriétaires est telle qu’en cas de vente de leurs entreprises (ou de leur actif), seuls des investisseurs disposant de ressources financières conséquentes seront en mesure de les acquérir », peut-on lire dans le mémoire de l’UPA, que La Presse a obtenu.

« De plus, pour les investisseurs cherchant à diversifier leur portefeuille d’actifs en intégrant des terres agricoles, l’acquisition des actions ou des actifs de ces grands propriétaires fonciers agricoles représente une solution clé en main, bien plus simple et rapide que l’achat de parcelles agricoles individuelles », prévient le syndicat.

Qu’est-ce que le territoire agricole protégé ?

Adoptée en 1978, la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles visait à mettre un frein à l’étalement urbain et à protéger les bonnes terres agricoles de la spéculation immobilière. Elle a ainsi délimité des « zones vertes » où il est interdit de construire des commerces ou des résidences hormis celles des agriculteurs qui exploitent la terre. La superficie « verte » du Québec est évaluée à quelque 6,3 millions d’hectares. Cela représente environ 5 % du territoire de la province, même si, dans les faits, en excluant les boisés, les forêts, les friches et les milieux humides, c’est plutôt environ 2 % du territoire qui serait exploitable à des fins agricoles. La proportion des terres zonées agricoles qui est réellement en culture est en chute libre. Entre 2006 et 2021, 63 000 hectares sont tombés en friche au Québec.