En pleine crise du logement, un immeuble flambant neuf de 26 appartements dans Hochelaga-Maisonneuve est en partie réservé à la location à court terme sur Airbnb, une situation que dénonce le comité logement du quartier, qui organise une manifestation pour s’y opposer.

Le propriétaire de l’édifice situé au coin des rues Ontario et de Chambly, les Propriétés Strawberry, loin de s’en cacher, poursuit l’arrondissement pour contester le règlement qui interdit les locations touristiques commerciales depuis juillet 2023.

Quand elle a entrepris son projet, en juin 2021, l’entreprise avait pour objectif « la construction et l’exploitation éventuelle d’un immeuble résidentiel multilogements, avec l’intention d’y faire de la location à court terme », peut-on lire dans la poursuite, déposée en août 2023 par les Propriétés Strawberry contre l’arrondissement de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve et la Ville de Montréal.

IMAGE TIRÉE D’AIRBNB

Capture d’image d’un appartement offert sur Airbnb par Strawberry Stays, dans l’immeuble d’Hochelaga-Maisonneuve en question.

Lors de la construction de l’édifice, un inspecteur municipal a d’ailleurs mentionné à son rapport, l’an dernier, que des « locations à court terme » étaient prévues dans l’immeuble, selon un document que La Presse a pu consulter.

Le comité Entraide logement Hochelaga-Maisonneuve déplore le fait que l’arrondissement n’ait pas empêché les Propriétés Strawberry d’aller de l’avant avec son projet.

« En cette période de crise du logement, des évictions et de l’itinérance, qu’il y ait un nouvel immeuble rempli de logements loués sur Airbnb, dont les étapes de la construction ont été suivies très étroitement par l’arrondissement, c’est tout simplement de la provocation pour la population du quartier », s’insurge Annie Lapalme, organisatrice communautaire pour l’organisme, qui prévoit une manifestation devant l’édifice le 6 mars.

« Résidence principale »

Pour le moment, Strawberry Stays offre sur Airbnb trois logements dans son édifice situé au coin des rues Ontario et de Chambly.

Pour ces appartements, trois personnes ont obtenu, le 29 janvier dernier, un numéro d’enregistrement de la Corporation de l’industrie touristique du Québec (CITQ), tel que le prévoit la réglementation provinciale. Après vérification auprès du ministère du Tourisme, ces numéros ont été obtenus pour des « établissements de résidence principale ».

Au préalable, c’est l’arrondissement de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve qui a délivré trois certificats d’occupation pour résidence principale à ces trois personnes, un document exigé par la CITQ.

Il faut préciser que, même si l’arrondissement interdit la location touristique commerciale, il est toujours permis de louer à court terme sa résidence principale, en étant dûment enregistré auprès de la CITQ.

Comment l’arrondissement détermine-t-il qu’il s’agit d’une résidence principale ?

« Le formulaire de demande de certificat d’occupation est rempli et signé par le demandeur, qui doit déclarer sous serment son adresse principale. Une preuve de résidence (bail, permis de conduire avec adresse, facture d’un service public) est demandée afin de valider que la personne demeure bien à cette adresse, mais la vérification de la résidence principale au sens de la loi est entre les mains de Revenu Québec. Les municipalités n’ont pas accès à ces informations, bien que cela fasse partie des demandes qui avaient été soumises à la ministre du Tourisme par les municipalités lors de l’étude du projet de loi en commission parlementaire », explique Laurent Beaulieu, directeur de cabinet du maire d’arrondissement Pierre Lessard-Blais.

Un pied-à-terre

Joël Philippe Guy est l’un de ceux qui déclarent que leur résidence principale est située dans l’immeuble des Propriétés Strawberry. Il dit avoir signé un bail en bonne et due forme il y a quelques semaines et son logement est offert en location sur Airbnb depuis peu.

« C’est un pied-à-terre transitoire pour moi. C’est pratique parce que c’est proche du centre-ville. Je suis consultant en entreprise. Mais je n’ai pas encore à loger là encore », précise M. Guy, qui dit faire la navette entre les Laurentides et Montréal pour son travail.

C’est Strawberry Stays qui s’occupe d’annoncer sur Airbnb et de gérer les locations, mais Joël Philippe Guy informe l’entreprise des dates où il a besoin de son appartement, dit-il.

« Condo d’une construction neuve ! Bienvenue dans notre charmante unité de 2 chambres, nichée au troisième étage d’un immeuble résidentiel paisible, offrant une retraite chaleureuse et accueillante pour votre séjour. Situé au cœur de Hochelaga-Maisonneuve, notre Airbnb est le chez-soi idéal pour les voyageurs de loisirs et d’affaires », dit l’annonce pour son logement, offert à 170 $ la nuit, pour laquelle on indique que les hôtes sont Clayton, Philippe et Hugo.

Outre les trois logements dans son nouvel immeuble, Strawberry Stays a 14 autres annonces de logements à louer dans Hochelaga-Maisonneuve sur Airbnb, enregistrés auprès de la CITQ comme des « résidences de tourisme ». Malgré l’adoption d’un règlement dans Mercier–Hochelaga-Maisonneuve pour interdire la location touristique commerciale, ces résidences de tourisme bénéficient d’un droit acquis, indique Laurent Beaulieu.

Demande d’annulation

Dans sa poursuite déposée en août 2023, Strawberry Stays demande l’annulation du règlement de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve qui interdit la location de courte durée de type commerciale.

La poursuite souligne que l’arrondissement a adopté son règlement le 7 juillet 2023 alors que la construction du nouvel immeuble était presque terminée.

L’entreprise affirme avoir transmis à l’arrondissement le nombre de signatures nécessaires pour la tenue d’un référendum sur le nouveau règlement avant son adoption, mais que cette demande a été ignorée.

La poursuite est signée par James Martone, chef des solutions immobilières des Propriétés Strawberry. Selon le Registre des entreprises du Québec, Clayton Desautels est le président de la société et Philippe Thibodeau en est le vice-président. Aucun des trois dirigeants n’a répondu aux demandes d’entrevue de La Presse, pas plus que leur avocate.

Sur Airbnb, on trouve au moins 130 appartements annoncés dans Hochelaga-Maisonneuve, dont plusieurs par des « hôtes » qui exploitent plus d’un logement.

Signalements

Les responsables de l’arrondissement se défendent de rester les bras croisés : ils ont fait eux-mêmes un signalement à Revenu Québec le 7 décembre dernier au sujet des activités des Propriétés Strawberry, révèle Laurent Beaulieu.

En 2023, quatre signalements ont été effectués à la suite d’inspections ou de plaintes, et dix plaignants ont été dirigés vers Revenu Québec, ajoute-t-il.

À Montréal, un autre arrondissement, celui de Verdun, interdit les locations touristiques commerciales de courte durée sur son territoire. D’autres limitent ces activités à certains secteurs commerciaux, comme la rue Sainte-Catherine, la rue Saint-Denis, l’avenue du Mont-Royal ou la Plaza Saint-Hubert.

Toujours pas de sanction contre les plateformes de location en ligne

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

L’incendie de cet immeuble sur la place D’Youville, en mars 2023, avait mené à la révision de la Loi sur l’hébergement touristique.

Québec n’a toujours pas sévi contre les plateformes de location à court terme, six mois après l’entrée en vigueur de nouvelles dispositions à la Loi sur l’hébergement touristique, qui devaient permettre de serrer la vis à Airbnb et ses semblables.

« À ce jour, les plateformes numériques Airbnb, VRBO et Expedia n’ont fait l’objet d’aucune accusation ou de condamnation de nature pénale », a indiqué un porte-parole de Revenu Québec, Claude-Olivier Fagnant, dans une réponse envoyée par courriel à nos questions.

Ce sont les inspecteurs de Revenu Québec qui sont responsables de l’application de la Loi sur l’hébergement touristique.

Dans la foulée de l’incendie mortel du Vieux-Montréal, le 13 mars 2023, qui a fait sept victimes, la ministre du Tourisme, Caroline Proulx, avait ajouté des dispositions à la Loi sur l’hébergement touristique rendant les plateformes de location en ligne responsables de s’assurer de la conformité des annonces qu’elles publient.

Certaines des victimes de l’incendie de l’année dernière avaient loué un logement par l’entremise d’Airbnb, alors que les locations touristiques sont interdites dans le Vieux-Montréal par un règlement de l’arrondissement de Ville-Marie.

Selon les nouvelles dispositions de la loi, les plateformes de location peuvent recevoir des amendes s’élevant jusqu’à 100 000 $ par annonce illégale.

Québec prévoit de mettre bientôt en place « une solution électronique pour permettre aux plateformes numériques d’effectuer les validations nécessaires en continu, soutenues par un système électronique, et la création du registre public des établissements touristiques, un outil supplémentaire de vérification pour le public », indique Brigitte Roussy, attachée de presse de la ministre Proulx.

« Notre loi est jeune, il est encore beaucoup trop tôt pour juger des résultats, mais on a déjà des indicateurs encourageants, notamment en ce qui concerne le nombre d’enregistrements, dont les demandes ont atteint des sommets de plus de 200 % depuis l’adoption de la loi par rapport à l’année précédente », ajoute-t-elle, notant que Revenu Québec, a doublé « sa force de frappe » pour faire respecter la Loi sur l’hébergement touristique.

Droits acquis

On trouvait en mars 2023 plus de 1000 logements offerts sur Airbnb dans le Vieux-Montréal. Leur nombre semble avoir diminué : la carte présentée sur la plateforme en montre environ 350, dont plusieurs qui sont exploités par les mêmes personnes ou entreprises.

Il faut savoir que la Loi sur l’hébergement touristique prévoit un régime de droits acquis pour les résidences de tourisme qui étaient déjà enregistrées pour une période déterminée auprès de la Corporation de l’industrie touristique du Québec (CITQ).

L’été dernier, les arrondissements de Ville-Marie (où se trouve le Vieux-Montréal), du Sud-Ouest et du Plateau-Mont-Royal ont créé une escouade spéciale chargée de traquer les locations touristiques illégales, en documentant chaque cas pour les soumettre aux inspecteurs de Revenu Québec.

« Ce qu’on peut déjà constater, c’est que les propriétaires récalcitrants ne cessent d’adapter leurs méthodes, espérant passer sous le radar de nos inspecteurs. Il faut donc redoubler d’efforts, dans les limites des moyens et des pouvoirs limités de la Ville », a souligné le responsable de l’habitation au comité exécutif, Benoit Dorais, qui est aussi maire de l’arrondissement du Sud-Ouest.

« Nous continuons d’explorer différentes pistes pour limiter le nombre de telles résidences illicites. Il est impératif que Revenu Québec, le ministère du Tourisme et la CITQ renforcent leur collaboration avec nous pour que nos interventions complémentaires soient toujours plus efficaces. »