Il y a quelques années, l’animateur Pierre-Yves Lord nous a expliqué dans un documentaire qu’on fait souvent preuve de préjugés face aux hommes qui se prénomment Kevin.

Si cette discrimination pouvait à elle seule expliquer les problèmes du politicien républicain Kevin McCarthy, ce serait presque rassurant. Mais ce n’est pas pour ça qu’il a eu tant de mal à se faire élire au poste de président de la Chambre des représentants des États-Unis.

Ses problèmes sont beaucoup plus complexes, profonds et préoccupants.

Ils sont le reflet des maux du Parti républicain et, plus largement, de ceux des institutions démocratiques aux États-Unis.

Et ils résonnent comme un avertissement pour la démocratie canadienne – nous y reviendrons un peu plus loin.

Examinons d’abord en détail ce qui vient de se passer chez nos voisins.

Kevin McCarthy a été pris pour cible – et la majorité des élus du Parti républicain pris en otage – par une aile radicalisée de la formation politique.

Ces élus, qui sont une vingtaine, font pour la plupart partie du Freedom Caucus.

Notons que l’ancêtre de ce « caucus de la liberté » est le Tea Party, mouvement de contestation ultraconservateur et réactionnaire formé sous la présidence de Barack Obama, qui avait une fâcheuse tendance à comparer l’État fédéral à une tyrannie.

« Nous devons réparer ce système défectueux », a dit récemment l’un des élus rebelles, Matt Rosendale. Mais dans les faits, ces politiciens sont des saboteurs. Le système, ils souhaitent l’affaiblir et le discréditer. Pas le réformer.

Plusieurs de ces politiciens font d’ailleurs partie de ceux qui ont mis en doute les résultats de l’élection présidentielle de 2020.

La rébellion à laquelle on vient d’assister n’est pas un évènement anodin. Ça faisait plus de 100 ans qu’on n’avait pas vu un tel affrontement pour le choix du président de la Chambre des représentants.

Et ce n’est pas une coïncidence si ce chaos se produit deux ans jour pour jour après l’assaut – historique – donné contre le siège du Congrès américain.

Le Parti républicain d’aujourd’hui, avec ou sans Donald Trump, demeure une force antidémocratique avec en son sein de nombreux élus radicalisés.

D’ailleurs, au moment même où les républicains s’entredéchiraient à Washington, l’organisation américaine Eurasia Group faisait paraître son rapport annuel sur les plus importants risques géopolitiques mondiaux pour les 12 prochains mois. Et au septième rang, après « le voyou russe » et la Chine de Xi Jinping, on retrouve « les États divisés d’Amérique ».

Même si plusieurs des candidats républicains soutenus par Donald Trump ont perdu lors des élections de mi-mandat de novembre dernier, le constat de l’organisation est accablant : « Les États-Unis demeurent l’une des démocraties industrielles avancées les plus clivées politiquement et dysfonctionnelles du monde. »

« La division comme moteur de la colère publique est devenue une caractéristique structurelle de la vie américaine, alimentée en partie par les réseaux sociaux », lit-on également dans le rapport.

Or, en complément de ce texte sur le « risque » américain, on retrouve quelques paragraphes où l’on met en garde le Canada. « En 2023, les clivages en augmentation et les antagonismes régionaux au Canada vont contribuer à l’instabilité politique croissante sur le continent », selon l’organisation, dont le vice-président est l’ancien conseiller politique de Justin Trudeau Gerald Butts.

Consultez le rapport (en anglais)

Ces craintes, de nombreux politiciens au Canada y ont fait écho au cours des derniers mois.

On en a peu parlé au Québec, mais à la fin du mois de décembre, l’ancien chef conservateur Erin O’Toole a publié un texte de 1000 mots sur son blogue pour dénoncer la radicalisation des débats politiques au Canada.

Un de ses espoirs pour 2023, écrit-il, est « de voir moins de drapeaux comportant des injures contre Trudeau » à travers le pays.

« La multiplication de manifestations politiques de ce type au cours des dernières années est un signe que nous nous désensibilisons lentement face aux combines politiques et à la rhétorique agressive, qu’elles proviennent de la gauche ou de la droite », estime Erin O’Toole.

Lisez son texte (en anglais)

L’ancien premier ministre conservateur de l’Alberta Jason Kenney s’est lui aussi dit inquiet de l’état de la démocratie canadienne. Il s’est vidé le cœur dans sa lettre de démission en novembre dernier.

Et quelques mois plus tôt, c’est Alain Rayes, le député fédéral (conservateur devenu indépendant) de Richmond–Arthabaska qui s’en alarmait.

Après avoir fait face à un déluge de haine sur Facebook en août dernier, il avait dénoncé le « climat toxique que l’on vit dans le paysage politique ».

Ironiquement, lorsqu’il a quitté le Parti conservateur un mois plus tard à la suite de la victoire de Pierre Poilievre, des collaborateurs du nouveau chef ont encouragé leurs membres à harceler le député québécois pour le forcer à démissionner.

À l’époque, Alain Rayes avait demandé à « tous les leaders politiques » de calmer le jeu et de dénoncer les dérives partisanes agressives qui menacent la démocratie canadienne.

Sa requête demeure brûlante d’actualité.

Les débats politiques ne sont pas aussi toxiques ici qu’ils peuvent l’être aux États-Unis.

Mais combien de mises en garde seront encore nécessaires pour éviter qu’ils ne s’enveniment encore plus ?

Comme on le constate chez nos voisins, une fois qu’un monstre a été créé, il est très difficile de le contrôler.