Difficile de savoir où on s’en va avec notre hydroélectricité. Un jour, on entend le tout nouveau président d’Hydro-Québec, Michael Sabia, dire qu’il faut augmenter les tarifs : « Prochaine question ! », a-t-il pris soin d’ajouter. Le lendemain, le premier ministre François Legault a dit qu’on n’aura aucune augmentation de plus de 3 % par année.

Après des années à avoir des surplus d’électricité, nous sommes maintenant au bord de la pénurie. Pourtant, on continue de prospecter et d’encourager avec des incitations fiscales des industries très énergivores à s’établir au Québec.

En fait, dit Pierre-Olivier Pineau, de HEC Montréal, l’un des meilleurs experts dans le domaine au Québec, la situation n’a pas vraiment changé. Sauf qu’on a réalisé récemment que si on voulait vraiment décarboner le Québec, ça nous prendrait beaucoup d’électricité. « Il y a cinq ans, on ne parlait pas vraiment de transition énergétique », soutient-il.

Le problème, c’est que le gouvernement actuel reconnaît la nécessité de décarboner, mais tient toujours au modèle de développement qui a été celui des dernières décennies : on attire des entreprises sur la base de subventions et de bas prix de l’énergie avec, en contrepartie, des emplois bien payés.

Mais, pendant tout ce temps, le gouvernement de la CAQ refuse systématiquement de considérer que le kilowatt le moins cher est le « negawatt », celui que l’on ne consomme pas au lieu de le gaspiller. D’où la promesse – sans aucun doute politiquement rentable – de limiter les hausses de tarifs à 3 % au maximum.

De toute façon, pour le premier ministre Legault, la cause est entendue. Au cours de la dernière campagne électorale, il l’a affirmé sans détour : les éoliennes et les économies d’énergie, « ça ne marchera pas ».

Sa solution étant de construire plus de barrages qui nécessairement seront de plus en plus loin sur le territoire et coûteront de plus en plus cher.

« Les nouveaux barrages ne sont pas la solution. Le gouvernement va se rendre compte que l’inflation a fait en sorte que les construire coûtera beaucoup plus cher que prévu. Le prix des turbines, par exemple, a augmenté de façon très importante au cours des dernières années », dit le professeur Pierre-Olivier Pineau.

Et Hydro-Québec aura besoin de beaucoup de turbines, pas seulement pour les nouveaux projets, mais aussi pour remplacer celles qui arrivent à la fin de leur vie utile dans des installations existantes. Le réseau d’Hydro a « besoin d’amour », comme on dit dans l’immobilier, et cela va coûter très cher.

Ce serait sans doute le moment de prendre une pause stratégique et de s’occuper un peu du réseau existant – et d’en profiter pour le bonifier – avant de se relancer dans les grands chantiers.

Mais tout indique que le gouvernement se prépare à signer des contrats de vente d’électricité qu’on n’a pas encore, et à des tarifs qui seront presque nécessairement sous les coûts de production, puisque ceux-ci vont augmenter.

Le gouvernement se donne le droit de consentir des rabais – qui sont de 20 % actuellement pour les alumineries. Cela dit, on peut légitimement se demander si un gouvernement qui met autant d’efforts dans la « filière batterie » ne va pas lui offrir les mêmes avantages.

En tout cas, au début du mois, la mine de graphite Nouveau Monde, à Saint-Michel-des-Saints, a admis avoir obtenu un bloc d’énergie à un prix inférieur au tarif industriel, le tarif L, d’Hydro-Québec.

On attend de voir quels avantages le gouvernement a consentis à l’usine de batteries de Northvolt, encore qu’il est loin d’être certain qu’on le pourra. Ces ententes sont des contrats commerciaux et rien n’oblige le gouvernement à les rendre publics.

Il y a deux problèmes de gouvernance dans tout cela. Le premier, c’est que le gouvernement se trouvera à choisir les gagnants et les perdants. C’est exactement ce qu’un État ne devrait pas faire quand il décide d’intervenir dans l’économie.

Si vous êtes du côté des gagnants – avec des coûts d’énergie avantageux, par exemple –, vous aurez moins besoin d’être les plus performants et les plus innovants puisque vous aurez déjà gagné la loterie.

L’autre problème est la confidentialité. Puisque ces avantages seront consentis dans des contrats commerciaux, il n’est pas certain que le public saura pourquoi ces allégements ont été accordés pour telle ou telle entreprise ou pourquoi le gouvernement aura choisi de lui accorder des privilèges.

On ouvre la porte à la méfiance des électeurs qui seront en droit de demander ce qui s’est passé en privé pour obtenir de tels avantages, même si, objectivement, rien n’indique que ce soit le cas.

Or, bien qu’Hydro-Québec ne soit pas le gouvernement, il s’agit quand même – directement ou indirectement – de l’argent des contribuables, qui pourraient avoir à payer, quoi qu’on dise aujourd’hui, par des tarifs d’électricité plus élevés.

Hypothèse qu’on ne peut exclure, surtout si on vend au rabais de l’électricité qu’on n’a pas encore…

Dans une version précédente de cette chronique, nous indiquions qu’il n’est pas certain que « le public saura pourquoi ces tarifs ont été fixés pour telle ou telle entreprise ». Nous avons changé le mot « tarif » par le mot « allégement » par souci de précision.