« Il n’est pas question d’augmenter [les tarifs résidentiels d’électricité] plus que de l’inflation ou 3 % [le moindre des deux]. […] Le gouvernement de la CAQ ne fera jamais ça. »
— François Legault, premier ministre du Québec

Est-ce vraiment possible que la Coalition avenir Québec (CAQ) n’augmente « jamais » les tarifs d’électricité de plus de 3 % par an ?

« Ça dépend combien de temps dure le jamais », répond du tac au tac le professeur Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la Chaire de gestion de l’énergie à HEC Montréal, à qui nous avons demandé de nous aider à valider la déclaration de M. Legault.

Ou alors ça dépend du nombre d’années que la CAQ formera le gouvernement.

En théorie, Québec a le pouvoir législatif de plafonner les hausses de tarifs résidentiels à un maximum de 3 % par an jusqu’à la fin des temps (c’est le cas actuellement jusqu’en 2025, et M. Legault veut prolonger ça). Il n’a qu’à modifier ses lois.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

François Legault, premier ministre du Québec

Mais ce serait une très mauvaise idée.

Au contraire, au cours des prochaines années et décennies, les tarifs d’électricité résidentiels vont devoir augmenter beaucoup plus que le cours de l’inflation (ils augmentent environ au rythme de l’inflation depuis 1963).

Pourquoi a-t-on de (très) loin les tarifs d’électricité les plus bas en Amérique du Nord ? Parce que le Québec a eu l’audace, dans les années 1960 et 1970, de construire des barrages qui nous permettent aujourd’hui d’avoir de l’électricité à très bas prix.

Notre contrat social depuis des décennies, c’est qu’Hydro-Québec vend aux Québécois son électricité provenant des vieux barrages (le bloc patrimonial) à très bas prix, parce qu’elle la produit pour presque rien (3 ¢/kWh pour la production et le transport).

Sauf que ce bloc d’électricité patrimonial, qui représente actuellement 75 % de la production totale d’Hydro (179 TWh sur une production totale de 232,6 TWh), ne suffira bientôt plus à la demande. On aura besoin de davantage d’électricité pour décarboner le Québec et répondre aux nouveaux projets industriels du gouvernement Legault comme la filière des batteries. Québec parle ouvertement de 150 TWh supplémentaires d’ici 2050.

Cette électricité supplémentaire coûtera beaucoup plus cher que nos 232,6 TWh actuels, entre autres parce qu’il faudra construire de nouveaux barrages. La dernière estimation publique d’Hydro-Québec : toute électricité additionnelle coûterait 11 ¢/kWh (production et transport). Avec cette hypothèse, le coût moyen de production/transport passerait de 3,9 ¢/kWh (le coût actuel moyen de toute la production d’Hydro) à 6,7 ¢/kWh si on ajoute 150 TWh d’ici 2050. C’est une hausse de 71 %.

Ce n’est pas tout.

Hydro-Québec devra investir davantage pour maintenir ses infrastructures, et ces dépenses supplémentaires se refléteront un jour dans les tarifs.

Finalement, le contrat exceptionnellement avantageux avec Churchill Falls (0,2 ¢/kWh), qui fournit 15 % de la production actuelle d’Hydro, prendra fin en 2041 (ou avant si on le renégocie). On paiera bientôt un prix beaucoup plus élevé pour cette électricité.

Pour toutes ces raisons, les tarifs résidentiels sont appelés à augmenter de façon beaucoup plus importante que l’inflation.

À moins que Québec décide de réduire la marge de profits d’Hydro-Québec (28 % en 2022). En 2022, Hydro-Québec a versé 6 milliards au gouvernement… soit l’équivalent de 30 % du budget de l’éducation.

À court terme, c’est politiquement rentable de limiter les hausses de tarifs. À long terme, c’est irresponsable et irréaliste.

Dans sa sortie, M. Legault reproche aussi aux gouvernements du Parti québécois et du Parti libéral d’avoir haussé les tarifs davantage que l’inflation. Il leur fait ici un procès injuste. De 2004 à 2019, les tarifs résidentiels ont augmenté de 27 %, contre 26 % pour l’inflation. Durant cette période, les deux partis ont pourtant laissé la Régie de l’énergie, un tribunal administratif indépendant, fixer les tarifs. En 2019, la CAQ a mis fin à ce système qui fonctionnait bien et qui était juste pour tout le monde.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Michael Sabia, PDG d’Hydro-Québec

Et maintenant, le gouvernement Legault promet de limiter les hausses de tarifs résidentiels à moins de 3 % par an au-delà de 2025. Dans un reportage de Radio-Canada diffusé la semaine dernière, on apprenait que le PDG d’Hydro-Québec, Michael Sabia, a dit en privé qu’il y aura « une tendance » à augmenter les tarifs⁠1. Lors d’une rencontre avec des employés d’Hydro, M. Sabia a rappelé deux évidences qu’on devrait répéter plus souvent au Québec :

  1. il y a une « tendance » vers des hausses de tarifs parce que les coûts de production augmenteront ;
  2. hausser les tarifs serait un incitatif pour les Québécois à mieux consommer l’électricité.

Comme consommateurs, les Canadiens et les Québécois sont de grands gaspilleurs d’énergie, entre autres parce qu’on n’a pas d’incitatif financier à ne pas l’être. « Personne ne veut un choc tarifaire pour blesser les Québécois, dit le professeur Pierre-Olivier Pineau. L’idée, c’est de nous amener vers une plus grande efficacité énergétique pour nous enrichir. »

Quand il a annoncé que la CAQ ne hausserait « jamais » les tarifs résidentiels de plus de 3 %, François Legault répondait à une question de Gabriel Nadeau-Dubois, qui soupçonne que le contrat avec Northvolt fera augmenter les tarifs résidentiels. Ce contrat « va être payant, ça n’aura aucun impact sur les tarifs résidentiels », a assuré M. Legault.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Northvolt paiera un tarif inférieur au coût de l’électricité supplémentaire qu’il faudra produire au cours des prochaines décennies.

On verra dans 10 ans si le contrat avec Northvolt s’avérera payant. Mais on sait déjà que Northvolt paiera le tarif industriel L (5,44 ¢/kWh en 2023), qui est inférieur au coût de l’électricité supplémentaire qu’il faudra produire au cours des prochaines décennies. Ce n’est pas la fin du monde. C’est peut-être même une bonne chose si les retombées économiques de Northvolt sont suffisamment importantes.

Mais si on veut avoir une conversation franche et honnête en matière d’électricité, on ne peut pas prétendre que les nouveaux projets industriels comme Northvolt n’auront pas d’effet, même minime, sur les tarifs. Ou que les tarifs continueront d’augmenter sans jamais dépasser l’inflation.

1. Lisez l’article de Radio-Canada Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue