Les chiffres sont énormes. Et ils reflètent bien ce qu’il faut pour décarboner le Québec et prospérer. Le plan d’Hydro-Québec pose toutefois un défi tout aussi grand : son acceptabilité par les Québécois.

D’ici 2035, Hydro-Québec veut produire 30 % plus d’électricité, en plus de doubler les économies d’énergie, ajoutant respectivement 60 térawattheures (TWh) et 21 TWh d’énergie aux 200 TWh actuels.

Chaque année, la société d’État devra investir 14 milliards de dollars, trois fois la moyenne des cinq dernières années. C’est l’équivalent de 2 REM… par année !

Vous pensez que le complexe de la Romaine était gros ? Que LG-2 était gros ? Que Manic-5 était gros ? Eh bien, pour atteindre l’objectif de 2035 – dans 12 ans – il faudra construire l’équivalent de ces trois centrales combinées.

Vu de haut, le plan est emballant, vertueux. Il rappelle les efforts du Québec pour construire la Baie-James dans les années 1970 et 1980 et il porte un objectif noble et incontournable : la décarbonation de notre économie. La plupart des experts et groupes de pression jugent d’ailleurs le plan favorablement.

Dans le détail, les ambitions d’Hydro feront toutefois grincer des dents. Elles exigeront de nombreux sacrifices des Québécois. Pas demain matin, certes, mais en crescendo d’ici 12 ans.

D’abord, le plan aura inévitablement pour effet de gonfler les tarifs des clients de la société d’État. Pourquoi ? Parce que les nouveaux barrages, qui combleront près de la moitié de la nouvelle puissance d’ici 2035, ainsi que les éoliennes, entre autres, seront construits à un coût nettement plus élevé que le coût moyen actuel.

Hydro-Québec estime que ce sera fait au coût de 11 cents le kilowattheure, ce qui est près de quatre fois plus élevé que l’actuel coût moyen, de 3 cents. Chaque nouvelle installation fera monter la moyenne et donc les tarifs.

Hydro a repris la volonté de François Legault de plafonner à l’inflation (maximum 3 %) la hausse des tarifs résidentiels. Bien que ce plafond soit un non-sens économique, puisqu’il maintient les tarifs très bas et incite les Québécois à ne pas économiser de l’énergie, il finira par hausser constamment le coût de l’énergie.

La société d’État mettra aussi de la pression sur les propriétaires de « grosses cabanes » ou d’immeubles mal isolés, quoiqu’en y assortissant des aides financières, dans ce dernier cas. Les thermopompes ne coûteront pas cher.

Les autres clients, qui rapportent environ 60 % des revenus d’Hydro, verront leur facture grimper au rythme de l’effet des nouveaux projets plus coûteux. Fini les tarifs préférentiels aux grands industriels, donc, ce sera le tarif L majoré annuellement. Et les PME verront aussi leurs factures grimper rondement, d’ici quelques années. Des mécontents, vous dites ?

Québec pourrait aussi devoir faire une croix sur les juteux dividendes de la société d’État, vu les besoins de fonds d’Hydro. Et être ainsi contraint de compenser par des impôts, des compressions ou des reports de mesures sociales pour boucler son budget. Oupelaye !

Autre grogne en vue, celle des Québécois affectés par les nouvelles éoliennes et les 5000 kilomètres de lignes électriques – l’équivalent de Montréal-Vancouver – prévues par Hydro-Québec.

Le plan d’Hydro mentionne d’ailleurs que le boom de projets « requerra une simplification des processus des deux paliers gouvernementaux » pour l’attribution de permis. Dit autrement, la société d’État avertit qu’il faudra dégonfler les processus d’examens environnementaux si on veut y arriver.

Le plan exigera en plus de conclure des ententes avec chacun des groupes autochtones touchés et il déplaira aux pourfendeurs du nucléaire, une filière qu’Hydro-Québec n’exclut plus.

En somme, pour décarboner le Québec, Hydro devra vaincre le syndrome « Pas dans ma cour ». Ou plutôt « Pas de pylône derrière mon chalet », « Pas de hausse tarifaire pour mon restaurant », « Pas de gros tarifs pour mon Jacuzzi », « Pas de réservoirs près de mon terrain de chasse », « Pas de tarif L pour mon aluminerie » ou « Pas d’éolienne dans mon champ de maïs ».

Ce n’est pas pour rien que la société d’État termine son plan en parlant de dialogue en profondeur « avec les communautés autochtones, les municipalités, les spécialistes du secteur énergétique et les acteurs des milieux des affaires, du milieu syndical, de l’environnement et de la construction, ainsi que les représentants des consommateurs ».

La société d’État ne pourra tout faire seule. Elle n’est pas maître des lois, du Code du bâtiment ou du développement de la main-d’œuvre, dont elle aura besoin en abondance.

Et il s’en trouvera pour dire, non sans raison, qu’une trop grosse part de l’énergie est réservée aux grands projets industriels du gouvernement caquiste, dont la rentabilité prévue est parfois douteuse.

Le plan d’Hydro pour verdir la planète est emballant, vertueux, mais il exigera des compromis, des sacrifices. Y sommes-nous disposés ?