À la mi-août, le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, a sorti les Québécois de leur torpeur estivale en affirmant qu’il fallait réduire de moitié le parc automobile de la province. Selon lui, la population doit prendre conscience qu’elle aura à changer ses habitudes pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) et atteindre la carboneutralité d’ici 2050.

Le défi s’annonce de taille, car aux barrières que sont le manque de transport collectif et la grandeur du territoire s’ajoute une importante dimension psychologique. Pour réduire la dépendance à l’auto solo, il faut aussi considérer le plaisir de conduire, le sentiment de liberté et le statut social qui vient avec la voiture, soulignent les auteurs d’une étude commandée par la Commission sur le transport et les travaux publics de la Ville de Montréal1.

Aussi, même quand ils sont convaincus de l’importance de réduire leur GES, de nombreux citoyens tardent à passer à l’action. C’est pour franchir ce pas entre la prise de conscience et le changement de comportement que les psychologues veulent mettre leurs connaissances à profit.

Devant l’ampleur des défis, ici et ailleurs, les psychologues pressent d’ailleurs les gouvernements de les inclure dans la réflexion sur l’atténuation et l’adaptation aux changements climatiques. « La recherche en psychologie est la clé du succès de ces efforts », arguait la Société canadienne de psychologie dans un énoncé de position publié en 20212.

Un apport primordial

Pour Robert Gifford, professeur et chercheur en psychologie environnementale à l’Université de Victoria, l’apport de la psychologie est primordial dans l’application de toutes les politiques publiques.

« Pour tout problème, que ce soit pour le tabac ou la ceinture de sécurité, vous pourriez créer la politique la plus parfaite du monde, il faut des gens pour la mettre en place et créer des messages à l’intention des citoyens. C’est là que la psychologie entre en jeu, en essayant d’inciter l’électeur moyen à voter pour de bonnes politiques. Ce que nous faisons, c’est de la recherche sur les messages qui sont plus efficaces que d’autres. »

PHOTO FOURNIE PAR ROBERT GIFFORD

Robert Gifford, professeur de psychologie et chercheur en psychologie environnementale à l’Université de Victoria

Avec les chercheurs du laboratoire qu’il dirige (Environmental, Social and Personality Psychology Lab), il se penche sur 22 paires de messages pour établir leur efficacité.

Il cite l’exemple des sacrifices. « Nous avons dit à un groupe de personnes au début d’une enquête : ‟Parce que le changement climatique est là, nous allons tous devoir faire des sacrifices. Alors, qu’êtes-vous prêts à faire ?” À un autre, nous avons dit : ‟Nous sommes confrontés au changement climatique. Vous pouvez nous aider d’une manière ou d’une autre. Qu’êtes-vous prêts à faire ?” C’est ce que nous appelons l’opposition entre le sacrifice et l’empowerment. Quel message a le mieux fonctionné, selon vous ? »

Professeure en communication et en psychologie environnementale à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), Anne-Sophie Gousse-Lessard dit « lutter » depuis longtemps pour une meilleure reconnaissance de la pertinence de la psychologie de l’environnement dans le contexte de la crise socioécologique. Ce vaste champ d’études, qui touche à la communication, au travail social et à la sociologie, est peu enseigné au Québec. Il s’intéresse tant à l’impact de l’environnement sur le bien-être humain qu’à l’inverse.

Tant pour le changement de comportement que pour l’adaptation aux conséquences du réchauffement climatique, « la recherche en psychologie environnementale peut amener de nouveaux éclairages », pense celle qui est sollicitée par différents organismes intéressés à la transition écologique.

PHOTO FOURNIE PAR ANNE-SOPHIE GOUSSE-LESSARD

Anne-Sophie Gousse-Lessard, professeure en communication et en psychologie environnementale à l’UQAM

On voit beaucoup sur le terrain le fameux modèle du déficit d’information. On se dit que les gens ne sont pas assez informés, alors on leur donne plein d’informations en pensant qu’ils vont agir. Or, ce n’est pas suffisant. Le fait de savoir ne veut pas dire qu’on est motivé à agir ou qu’on a le pouvoir d’agir.

Anne-Sophie Gousse-Lessard, professeure en communication et en psychologie environnementale à l’UQAM

Pour déterminer les différentes phases de changement dans lesquelles se trouvent les individus, les études psychographiques sont fort utiles. Plutôt que d’essayer de convaincre les réfractaires, elles permettent de se concentrer sur ceux qui ont une ouverture à agir, qui en sont à peser le pour et le contre d’un changement ou qui ne savent pas par où commencer.

La percée des sciences sociales

Le Canada n’est pas à l’avant-garde mondiale en matière d’intégration de la psychologie dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques publiques. Les gouvernements commencent toutefois à y prêter attention, constate Robert Gifford, qui est reconnu pour ses recherches sur les barrières comportementales en regard des changements climatiques. En 2019, il a été invité à Ottawa pour discuter avec le sous-ministre et plusieurs sous-ministres adjoints d’Environnement et Changement climatique Canada (ECCC).

« Le gouvernement du Canada sait que le pays a besoin d’en faire plus, plus vite et que la sensibilisation à elle seule ne suffit pas pour changer les choses, affirme par courriel Samantha Bayard, porte-parole du Ministère. La participation d’ECCC [aux travaux du Programme de recherche appliquée sur l’action pour le climat au Canada] permet d’obtenir des données sur ce qui motive ces choix et de déterminer les obstacles à une action climatique plus ambitieuse. »

L’abandon des systèmes de chauffage domestique à base de combustibles fossiles, les rénovations écoénergétiques résidentielles et le passage aux véhicules électriques font partie des sujets étudiés dans le cadre de ces recherches.

Au Québec également, le ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP) et Hydro-Québec ouvrent leurs portes aux experts en sciences sociales.

Des chercheurs et experts en psychologie, notamment, ont été consultés en amont de l’élaboration de la Stratégie de mobilisation pour l’action climatique 2022-2027, indique Marjorie Larouche, cheffe d’équipe des relations de presse et des médias sociaux au MELCCFP.

Le plan d’action prévoit entre autres l’organisation d’échanges autour des enjeux climatiques. Ces « dialogues climatiques » s’appuient sur des constats de recherche comme l’existence d’un phénomène de distance sociale vis-à-vis des changements climatiques, le clivage des opinions et la montée de l’écoanxiété.

Chez Hydro-Québec, c’est la sociologie qui vient appuyer la transition énergétique. Depuis 2020, des sociologues travaillent à l’Institut de recherche d’Hydro-Québec (IREQ) pour étudier la façon dont les différentes franges de la population consomment l’énergie et réfléchir aux impacts du développement de solutions technologiques. Utilisé par d’autres sociétés productrices d’électricité dans le monde, dont Électricité de France, ce champ de pratique porte même un nom : la sociologie de l’énergie.

« La transition énergétique est considérée par plusieurs comme une transition essentiellement énergétique avec un volet plus social, remarque Marie-Andrée Leduc, chercheuse à l’IREQ, ingénieure et titulaire d’un certificat en sociologie. Ici, on considère que la transition énergétique est essentiellement une transition sociale avec un volet technologique. C’est un revirement de point de vue. »

Un défi collectif

À la Ville de Montréal, Marie-Philippe Chouinard est la première à occuper le poste de chargée d’expertise en changement comportemental au Bureau de la transition écologique et de la résilience, créé il y a trois ans.

Son travail consiste à cibler les barrières à l’adoption de nouveaux comportements et à mettre en place des stratégies d’intervention pour les faire tomber. Elle s’intéresse actuellement à l’élimination du mazout dans les bâtiments résidentiels et au gaspillage alimentaire, pour lequel des projets seront développés sous peu.

« On ne peut y aller à l’emporte-pièce, dit-elle. On veut créer une trame narrative collective qui a du sens, que l’environnement soit intégré dans l’identité des Montréalais et Montréalaises. Il faut que les gens aient un sentiment d’appartenance et sentent qu’on travaille ensemble dans la même direction. » Qu’ils sentent aussi que la responsabilité d’agir ne repose pas seulement sur leurs épaules.

1. Consultez l’étude « Transformation des villes et mobilité durable : regard sur les déterminants psychosociaux de l’attachement à l’auto solo » 2. Consultez l’énoncé de position de la Société canadienne de psychologie Qu’en pensez-vous ? Exprimez votre opinion
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  • 86 %
    Proportion des Québécois qui croient qu’il y a urgence d’agir contre les changements climatiques
    Source : Baromètre de l’action climatique 2022
    66 %
    Proportion des Québecois qui aimeraient faire plus pour lutter contre les changements climatiques
    Source : Baromètre de l’action climatique 2022
  • 65 %
    L’auto solo est le moyen de transport le plus utilisé par la population ; 65 % des Québécois se déplacent principalement seuls en voiture au quotidien.
    Source : Baromètre de l’action climatique 2022
    210 kg
    Quantité d’aliments et de boissons gaspillée par chaque Montréalais par année. Cela représente environ 1300 $ de nourriture jetée encore comestible par année.
    Source : Étude de potentiel de réduction des impacts du gaspillage alimentaire par les citoyens montréalais avec une approche cycle de vie, CIRAIG.