L’avenir n’appartient pas à ceux qui se lèvent tôt, mais plutôt à ceux qui dorment suffisamment. Pour rester vigilants et attentifs, les gestionnaires, entrepreneurs et chefs d’entreprise doivent prioriser le sommeil… même si cela est encore mal vu et tabou.

« J’ai longtemps valorisé le fait de dormir peu, soit environ quatre heures par nuit », raconte Dominic Gagnon, président et cofondateur de Connect & Go, une entreprise de technologies intégrées et de solutions en radio-identification pour le secteur des attractions. « Je suis quelqu’un de matinal et donc je me lève tôt, maximum à 5 h du matin. Mais j’ai compris que je devais aussi me coucher tôt pour avoir six à sept heures de sommeil par nuit. C’est une question de santé mentale ! »

Le père de famille a changé ses habitudes de vie afin de prioriser son sommeil. Et même s’il avoue que c’est « un combat de tous les jours », il y croit et il y tient.

« Travailler fort est stupide, lâche-t-il en riant. La culture de l’hyperperformance et celle de l’épuisement professionnel sont encore très présentes et valorisées. Il faut travailler mieux, pas nécessairement plus ! »

Un sujet tabou

Paresseux. Nonchalant. Faible. Les termes péjoratifs pour désigner les gens qui se lèvent tard, surtout dans des postes de pouvoir, sont nombreux. Comme si dormir était une perte de temps…

De l’avis de Florence Guiliani, professeure en entrepreneuriat à l’Université de Sherbrooke et directrice de Derrière la façade, une initiative qui vise à parler de la santé mentale des entrepreneurs, cette idéologie est en perte de vitesse.

« Il y a un rapport très particulier des entrepreneurs envers le sommeil, particulièrement dans les start-up », dit-elle.

PHOTO FOURNIE PAR FLORENCE GUILIANI

Florence Guiliani, professeure en entrepreneuriat à l’Université de Sherbrooke et directrice de Derrière la façade

Il y a un sentiment qu’il faut se sacrifier et que moins on dort, mieux on est perçu. Mais on constate que cela tend à changer, particulièrement chez la nouvelle génération, celle des milléniaux, par exemple.

Florence Guiliani, professeure en entrepreneuriat à l’Université de Sherbrooke

Plus soucieux de leurs ressources énergétiques et plus réceptifs à l’équilibre entre leur vie professionnelle et leur vie privée, les jeunes travailleurs s’écoutent davantage, souligne Mme Guiliani.

Manquer de sommeil

Une étude qu’elle a menée auprès de 300 dirigeants de PME démontre que ceux-ci dorment en moyenne 6 heures 42 minutes par nuit pendant la semaine – ce qui est loin des 7 à 9 heures recommandées chez les adultes.

Environ 30 % de la population manque de sommeil, indique Nadia Gosselin, professeure de psychologie à l’Université de Montréal et directrice scientifique du Centre d’études avancées en médecine du sommeil. Et si les insomniaques « purs et durs » représentent 10 % de la population, 25 à 30 % des gens souffrent d’insomnie de façon ponctuelle.

« Ce chiffre grimpe à 55 % chez les entrepreneurs », rappelle la chercheuse.

PHOTO FOURNIE PAR NADIA GOSSELIN

Nadia Gosselin, professeure de psychologie à l’Université de Montréal et directrice scientifique du Centre d’études avancées en médecine du sommeil

Les personnes qui n’ont réellement pas besoin de beaucoup de sommeil, soit quatre ou cinq heures par nuit, sont très rares, soit environ 5 % de la population.

Nadia Gosselin, directrice scientifique du Centre d’études avancées en médecine du sommeil

Les autres ? Ils accumulent de la « dette ». Tôt ou tard, ils vont payer pour ce manque cruel de sommeil.

« Il y a des risques pour la santé cognitive, dit Nadia Gosselin, comme un manque d’attention, de vigilance, de la difficulté à planifier, à se concentrer. La personne peut devenir plus irritable, plus impatiente. À moyen terme, il y a un risque pour la santé mentale avec une augmentation des risques de troubles dépressifs et d’épuisement professionnel. Et à long terme, c’est la santé physique qui est affectée avec plus de risques de démence, de diabète et d’obésité. »

Devenir un lève-tôt

Charles Morin, professeur au département de psychologie de l’Université Laval et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la médecine comportementale du sommeil, soulève qu’il existe deux types de personnes : celles qui fonctionnent mieux le matin et celles qui fonctionnent mieux en soirée.

Il n’est pas aisé de passer d’un type à l’autre.

« Pour certaines personnes, se lever à 5 h se fait assez facilement, mentionne-t-il. Mais il y a une limite. »

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Charles Morin, professeur au département de psychologie de l’Université Laval et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la médecine comportementale du sommeil

Se lever avant 5 h est périlleux et se lever à 4 h, alors que l’horloge biologique est à son plus bas niveau, ne comporte aucun bienfait à long terme.

Charles Morin, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la médecine comportementale du sommeil

Caroline Lao, une étudiante de 26 ans en psychologie, a intégré une routine pour parvenir à se lever tôt, tous les matins.

« Mes soirées sont réservées à relaxer ou à me divertir, confie-t-elle, alors que mes matins sont très productifs. Je structure mon horaire par blocs d’heures et cela aide ma motivation parce que j’ai un sentiment d’autoaccomplissement. »

Cela ne se fait pas sans discipline…

« Notre horloge biologique peut s’adapter, conclut la professeure de psychologie Nadia Gosselin. Il faut ajuster ses activités sociales en soirée, l’heure de ses prises de repas et son exposition à la lumière. »