À la page 68 du questionnaire de l’étude Hope de l’Université de Boston, on trouvait cette question : « Vous êtes-vous déjà blessé à la tête ou au cou lors d’une bagarre ou avez-vous déjà été frappé par quelqu’un ? »

Pour Chris Nilan, un simple « oui » ne suffirait jamais à raconter toute l’histoire.

La réponse s’étend sur plus de 300 combats à mains nues en tant que joueur de hockey professionnel et d’innombrables autres rixes dans les rues de Boston depuis son enfance. La plupart du temps, c’est Nilan qui avait le dernier mot. Mais les combats de hockey impliquent presque toujours des échanges de coups, parfois qui brisent les os, malmènent des ligaments… et ébranlent les cerveaux.

L’étude Hope, menée par le centre d’encéphalopathie traumatique chronique (ETC) de l’Université de Boston, mesure depuis 1996 la santé cérébrale de sujets vivants atteints de la maladie d’Alzheimer et de démences apparentées. Nilan, curieux de connaître l’état de son cerveau après des années de combats acharnés sur la glace et désireux de contribuer à la recherche, s’est tourné vers l’Université de Boston, où les participants reviennent chaque année pour subir des tests approfondis et, éventuellement, faire don de leur cerveau. L’ETC ne peut être diagnostiquée qu’à titre posthume, mais les tests effectués dans le cadre de l’étude Hope peuvent fournir des indices précieux du vivant des patients.

L’un des éléments clés de la recherche est le questionnaire sur les antécédents, dans lequel les sujets détaillent leur historique en matière d’impacts cérébraux.

Nilan n’avait joué que quelques matchs dans la LNH lorsqu’un soir de 1980, alors qu’il était encore une robuste recrue pour Montréal, il a laissé tomber les gants et s’est battu contre Stan Jonathan et Terry O’Reilly de Boston, deux des pugilistes les plus redoutés de l’histoire de la ligue. Les combats se sont déroulés au cours de périodes consécutives – l’équivalent hockey de boxer contre Muhammad Ali et Mike Tyson à moins d’une heure l’un de l’autre.

Nilan, surnommé Knuckles (jointures) avant même qu’il ne devienne professionnel, a survécu à cette nuit-là, ainsi qu’à 12 autres saisons de combats et de buts (118, y compris en séries éliminatoires). Il a remporté la Coupe Stanley en 1986 avec Montréal et a été nommé joueur étoile en 1991. Au cours de ses 13 années dans la ligue, il s’est battu 316 fois, se classant troisième de l’histoire de la LNH pour le nombre de combats, selon la base de données NHL Fight Card.

Tout cela a été suivi, coïncidence ou non, par des années de toxicomanie, d’abus d’alcool et de problèmes de gestion de la colère, avant que Nilan ne s’installe pour une vie tranquille en banlieue de Montréal. Attachant et plein d’humour, avec un accent de Boston plus épais que la boue de Chahles Rivah, Nilan anime aujourd’hui l’émission balado Raw Knuckles. Il pêche, cuisine, lit tous les jours – principalement des livres sur l’histoire militaire –, dirige des groupes de rétablissement des toxicomanes et passe des moments tranquilles avec sa fiancée, Jaime Holtz.

Mais s’il y avait un candidat à haut risque pour l’ETC, la maladie neurologique dégénérative associée à des impacts répétés à la tête ou à des coups suffisamment violents pour ébranler le crâne, Nilan semblerait correspondre à cette catégorie.

Les chercheurs suggèrent depuis longtemps que plus une personne reçoit de coups à la tête, y compris des coups subconcussifs, plus elle est susceptible de développer des problèmes cognitifs et neurologiques plus tard dans sa vie. Une étude réalisée au début de l’année sur le cerveau de joueurs de football a suggéré que l’impact cumulatif de multiples coups peut également y jouer un rôle.

Une trentaine d’années après avoir pris sa retraite d’une carrière intransigeante, violente et fructueuse, et avec les encouragements de la veuve d’un de ses collègues atteint de la maladie, Nilan s’est inscrit à l’étude Hope.

« Je ne m’inquiète pas d’être atteint de l’ETC », a expliqué Nilan. Mais parfois, on se pose des questions.

Il y a 10 ans, on aurait pu s’inquiéter davantage. La toxicomanie et les accès de rage de Nilan reflètent le comportement d’autres hommes forts du hockey qui ont pris leur retraite, comme Bob Probert, Derek Boogaard, Wade Belak, Todd Ewen et Steve Montador. Tous ont été diagnostiqués comme souffrant d’une ETC, qui ne peut être détecté qu’après la mort.

Plus d’une douzaine de joueurs de hockey ont été diagnostiqués comme étant atteints d’ETC, et tous n’étaient pas des combattants. Le dernier en date est Henri Richard, un petit centre habile du Canadien mort en 2020, le genre de joueur que Nilan était payé pour protéger.

Nilan est aujourd’hui âgé de 65 ans et sobre, mais il conserve un esprit vif et le souvenir d’une vie tumultueuse et violente qui l’a amené à côtoyer certaines des figures les plus tristement célèbres de Boston, dont James Bulger, le parrain du crime meurtrier, connu sous le nom de Whitey, qui était le beau-père de Nilan.

Des antécédents familiaux de démence

Le 17 avril, Nilan a rejoint l’étude Hope. Depuis leur domicile, Holtz et lui ont répondu à des questions d’ordre général lors d’une vidéoconférence avec les chercheurs, qui les ont interrogés sur les antécédents familiaux et comportementaux de Nilan, ses humeurs, sa mémoire, la démence de sa mère et sa carrière sur la glace.

Quelques semaines plus tard, il s’est rendu à Boston pour passer les tests cognitifs et médicaux et, un mois plus tard, il a reçu les résultats qui peuvent donner aux participants un aperçu de la santé de leur cerveau à ce moment précis.

Nilan a participé à l’étude tandis qu’il se sent en bonne santé et robuste, peut-être même un peu chanceux. Il compatit avec les joueurs qui ont souffert du même rôle dangereux que lui, et ne les montre pas du doigt.

En 2013, un groupe d’anciens joueurs a intenté un procès à la LNH pour ne pas avoir suffisamment pris en compte les traumatismes crâniens. Nilan a été invité à se joindre au groupe, mais a refusé, estimant que le sport n’était pas à l’origine de ses problèmes de toxicomanie et qu’il ne souffrait pas régulièrement de dépression.

Toutefois, en raison de son passé presque inégalé de combattant dans le hockey, Nilan est devenu un sujet important pour les chercheurs qui étudient les effets des impacts cérébraux répétés et les moyens de les détecter avant la mort.

Même si Nilan n’est pas atteint d’ETC ou ne présente pas de signe de déficience cognitive, les chercheurs voudront savoir ce qu’il en est et ce qu’il est possible d’en tirer.

« C’est énorme, a déclaré le DMichael Alosco, codirecteur de la recherche clinique au centre ETC de l’Université de Boston. Pourquoi certaines personnes sont-elles atteintes et d’autres non ? Qu’est-ce qui les différencie ? Cela pourrait être très instructif pour le traitement et la prévention. »