Financée à hauteur de 24 millions par Ottawa et Québec, l’expansion du port de Salaberry-de-Valleyfield est torpillée par une décision inattendue de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), dénonce une coalition locale. Sans coup de barre, le boom économique des dernières années dans la région risque d’être freiné par une décision « bureaucratique », déplore-t-elle.

« Ce qui me fâche là-dedans, ce n’est pas qu’on refuse de nous en donner davantage, mais qu’on nous enlève ce qu’on avait, déplore le maire de Salaberry-de-Valleyfield, Miguel Lemieux, en entrevue. C’est décourageant d’avoir à se battre pour ne pas se faire enlever ce que l’on a. »

L’enjeu concerne la fin annoncée, après deux décennies, d’un service offert par des agents de l’ASFC, qui se déplacent pour dédouaner de la marchandise qui arrive par conteneurs sur les quais du port situé en Montérégie. Il s’agit d’une sorte de machine à rayons X mobile. L’Agence dit avoir changé son fusil d’épaule à cause d’un manque de ressources – une raison que l’on comprend difficilement dans la municipalité.

Contrairement à des endroits comme Montréal et Halifax, le port de Salaberry-de-Valleyfield – l’un des rares ports de propriété municipale au Canada – manipule peu de conteneurs. Annuellement, il accueille un peu moins de 1000 conteneurs « équivalent vingt pieds » – loin des 1,7 million d’unités annuelles au port de Montréal (2022). Salaberry-de-Valleyfield se spécialise dans les créneaux du vrac solide et liquide.

Point d’ancrage

La capacité à transborder ces boîtes métalliques est néanmoins stratégique pour le port de Salaberry-de-Valleyfield : c’est de cette façon que les entreprises établies dans la région peuvent recevoir plus rapidement de l’équipement et d’autres marchandises nécessaires à leurs projets d’investissements ou à leurs activités.

Autrement, ces conteneurs doivent être réacheminés vers Montréal ou vers d’autres ports situés sur la côte Est. Cela allonge les délais pour les entreprises établies dans les environs de Salaberry-de-Valleyfield en plus de faire grimper leurs coûts de transport.

C’est mauvais pour tout le monde. C’est mauvais économiquement et mauvais pour réduire les gaz à effet de serre quand ces conteneurs sont transportés sur de longues distances par camion. Ne venez pas nous faire une jambette comme cela.

Miguel Lemieux, maire de Salaberry-de-Valleyfield

Directeur du développement économique de Salaberry-de-Valleyfield, Stéphane Billette affirme que l’intermodalité de la municipalité avec son port, la gare de triage du chemin de fer CSX et l’autoroute 30 est l’un des principaux éléments à l’origine de l’envolée économique de la région. Des entreprises bien connues comme Cascades, Petro-Canada, Broccolini, Montoni et Syscomax ont investi dans les parcs industriels de la région ces dernières années.

La décision de l’ASFC freinera cet élan, affirme M. Billette.

« C’est un non-sens, déplore M. Billette. Un dossier comme cela, j’ai rarement vu cela. Est-ce que l’on va perdre des projets ? On ne le souhaite pas. Mais cela pourrait bloquer des investissements ou en affecter d’autres. »

Quelque 450 millions en permis ont été délivrés à Salaberry-de-Valleyfield en 2022 et la ville compte actuellement pour 4,5 millions de pieds carrés (420 000 mètres carrés) de bâtiments industriels planifiés et en construction. La capacité à recevoir des conteneurs au port est névralgique, affirme M. Billette.

Peu de détails

L’ASFC a offert peu de détails sur sa décision, rendue en début d’année. Dans une lettre de deux pages datée du 18 janvier dernier et que La Presse a pu consulter, elle se limite à attribuer sa décision à un « manque de ressources et d’équipement ». Contrairement à des ports comme Montréal et Halifax, on ne retrouve pas de douaniers à temps plein à Salaberry-de-Valleyfield. Ce sont des unités mobiles qui se déplacent de deux à quatre fois par mois, selon la coalition, pendant que la Voie maritime du Saint-Laurent est ouverte.

La tournure des évènements a pris de court Desgagnés, qui a mis la main, en mai 2023, sur Valport Maritime Services, l’opérateur du port de Salaberry-de-Valleyfield depuis 1994. L’entreprise québécoise ne s’attendait pas à voir l’ASFC lui refuser le permis nécessaire pour recevoir des conteneurs.

C’est une embûche majeure parce que notre plan d’affaires tablait sur une croissance. On a eu des échanges avec l’Agence pour bien saisir les enjeux. On voudrait continuer le dialogue.

David Rivest, président-directeur général de Desgagnés Logistik

Bon an, mal an, la facture pour assurer les frais de déplacement des douaniers à quelques reprises chaque mois oscille aux alentours de 25 000 $, selon la coalition. Celle-ci s’est montrée ouverte à assumer des frais pour assurer la poursuite du service de dédouanement de conteneurs, mais affirme que l’Agence refuse de discuter pour trouver une solution. Dans un courriel, l’ASFC n’a pas répondu aux questions de La Presse, évoquant une interdiction en vertu de la Loi sur les douanes pour commenter la situation au port de Valleyfield.

Annoncé en 2019, l’agrandissement du port représente un investissement total de 36 millions. Les deux ordres de gouvernement ont chacun offert 12 millions. Le projet table sur le prolongement de deux postes d’amarrage existants et sur la construction d’un troisième. Le projet devrait être achevé vers l’automne 2026.

En savoir plus
  • 1966
    Inauguration du port de Salaberry-de-Valleyfield
    Source : PORT DE Salaberry-de-Valleyfield
    70 kilomètres
    Distance entre la métropole et le port situé en Montérégie
    Source : Port de Salaberry-de-Valleyfield