Les bonnes intentions ne suffisent pas à donner de bons résultats. C’est ce que l’on se dit en prenant connaissance d’un nouveau rapport de recherche qui pose un regard extrêmement critique sur les escouades mixtes intervenant auprès des personnes itinérantes à Montréal.

En principe, ces escouades composées de policiers et d’intervenants psychosociaux visent à favoriser une saine cohabitation, à offrir de l’aide aux personnes en situation d’itinérance et à éviter le recours à la répression. Mais sur le terrain, selon les 38 intervenants de refuge et travailleurs de rue montréalais dont le point de vue a été recueilli dans ce rapport, l’approche tend à nuire plus qu’à aider. Loin de constituer une innovation ayant fait ses preuves, les escouades mixtes, qui se sont multipliées ces dernières années, donnent aux populations marginalisées qui subissent au quotidien du profilage policier le sentiment d’être plus surveillées que jamais. Elles créent de la confusion et nuisent au lien de confiance nécessaire aux interventions sociales efficaces.

« En rendant l’espace public encore plus hostile aux personnes qui s’y retrouvent, les escouades mixtes ne font qu’alimenter un feu collectif en y versant de l’essence », lit-on dans le rapport qui recommande notamment que soit plutôt créée une nouvelle escouade civile capable de répondre jour et nuit aux appels au 911 lorsque la nature de l’appel n’est pas dans le champ de compétences de la police.

Consultez le rapport Innovation ou extension de la répression ? Perspectives des intervenant·es sur les escouades mixtes à Montréal

On dira que cette recherche, dirigée par le professeur de l’Université Concordia Ted Rutland, qui a déjà manifesté à l’hôtel de ville aux côtés de la Coalition pour le définancement de la police, n’est pas exactement objective.

C’est vrai, concède Ted Rutland. Le rapport, qui donne la parole à des intervenants du Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal, n’est pas neutre. Il ne prétend pas l’être non plus.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Le professeur de l’Université Concordia Ted Rutland au moment de présenter le rapport, mercredi

C’est dans le titre même du rapport : il s’agit ici des perspectives des intervenants sur les escouades mixtes. Le rapport est ce que son titre annonce. Non, ce n’est pas neutre. Pour moi, aucun rapport n’est neutre.

Ted Rutland, professeur de l’Université Concordia

On peut certes reprocher à ce rapport d’alimenter la confusion en y allant d’une charge à fond de train contre l’ensemble des initiatives d’escouades dites « mixtes » – ce qui, étrangement, inclut dans le rapport l’escouade civile non mixte de l’Équipe mobile de médiation et d’intervention sociale (ÉMMIS). Mais cela ne veut pas dire que ses conclusions n’ont aucune valeur.

Si Ted Rutland avait mené une étude sur la meilleure façon de gérer les cambriolages, il aurait interrogé des policiers, experts en matière de criminalité. « Mais si on parle de la meilleure façon de gérer des problèmes d’itinérance, je pense que les perspectives des intervenants, eux-mêmes experts sur le sujet, sont plus importantes, même si on peut bien sûr en débattre. »

Le point de vue de ces travailleurs communautaires qui interviennent auprès des populations itinérantes les plus marginalisées et les plus vulnérables, abonnées à la répression policière, ne reflète pas nécessairement celui de l’ensemble du milieu communautaire. Mais il est en phase avec ce que nous disent les écrits scientifiques et les expériences d’escouades mixtes intervenant auprès des populations marginalisées ailleurs dans le monde. Après avoir embrassé cette approche allègrement, plusieurs villes des États-Unis et du Canada anglais font aujourd’hui marche arrière pour plutôt mettre en place des escouades civiles, me dit Céline Bellot, professeure de travail social à l’Université de Montréal et directrice de l’Observatoire des profilages.

On a démontré que les escouades mixtes n’amélioraient en rien ni la pratique policière, ni la pratique psychosociale, ni la situation des populations marginalisées.

Céline Bellot, professeure de travail social à l’Université de Montréal

D’ailleurs, en dépit de la multiplication des équipes mixtes depuis 2009 au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), le problème de judiciarisation de l’itinérance et de profilage social ne s’est en rien estompé avec les années. La situation s’est même aggravée, selon une étude dirigée par Céline Bellot. En 2012, les personnes en situation d’itinérance recevaient près de 21 % de l’ensemble des constats d’infraction remis à Montréal pour des motifs de sécurité et d’ordre public. En 2018, cette proportion est passée à près de 40 %.

Consultez l’étude Judiciarisation de l’itinérance à Montréal : des données alarmantes témoignent d’un profilage social accru (2012-2019)

Un consensus se dégage : nous sommes devant des problèmes sociaux pour lesquels on doit intervenir de manière différente. Et la police, de par son rôle dans la société, n’est pas la mieux placée pour y arriver.

En juin dernier, le chef du SPVM, Fady Dagher, a dit en être tout à fait conscient. Même si la majorité des appels au 911 concernent des problèmes sociaux et de santé mentale sans lien avec la criminalité, pas question pour lui de demander à ses policiers de se transformer en travailleurs sociaux.

« La police va se retirer. La police n’a pas l’intention de devenir spécialiste dans des domaines sociaux et de santé mentale », a déclaré le chef Fady Dagher, en faisant un plaidoyer pour un meilleur financement du milieu communautaire.

Lisez l’article du Devoir « Les policiers ne deviendront pas des travailleurs sociaux, dit le chef du SPVM »

Pour l’heure, le SPVM n’en demeure pas moins tenu de répondre aux appels au 911, même quand la situation est sans danger et n’exige pas une présence policière. Mais à Toronto et ailleurs, on a trouvé de meilleures solutions : des escouades civiles qui répondent aux appels au 911 sans lien avec la criminalité.

De la même façon que l’on n’aurait pas idée d’appeler un plombier pour des problèmes médicaux, il n’y a pas de logique à demander à la police d’intervenir dans des situations qui ne relèvent aucunement de son champ d’expertise. L’itinérance et la pauvreté ne sont pas des crimes. Si votre problème est d’ordre psychosocial, la solution devrait l’être aussi.