Les escouades mixtes, qui allient policiers et intervenants sociaux, nuisent aux personnes en situation d’itinérance, estime un nouveau rapport de recherche, rendu public mercredi par le Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM).

Depuis plus de dix ans, les escouades mixtes ont été développées à Montréal en réponse aux critiques de « profilage social » des agents du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) face à la population itinérante. La majorité de ces équipes allient des intervenants sociaux ou des travailleurs de la santé à des agents de police.

Plusieurs escouades se sont ajoutées dans les dernières années, notamment l’Équipe métro d’intervention et de concertation (EMIC) et l’Équipe mobile de médiation et d’intervention sociale (EMMIS), en lien avec la Ville de Montréal et la Société de développement social.

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Ce nouveau rapport de recherche dirigé par Ted Rutland, professeur à l’Université Concordia spécialisé en politiques urbaines, partage la voix de 38 intervenants communautaires à Montréal.

« Malgré le financement sans précédent dont jouissent ces escouades, peu de connaissances ont été produites sur [celles-ci] jusqu’à présent », peut-on lire dans le document de 45 pages.

Ce nouveau rapport de recherche dirigé par Ted Rutland, professeur à l’Université Concordia spécialisé en politiques urbaines, partage la voix de 38 intervenants communautaires à Montréal. Selon eux, « les escouades mixtes sont une entrave au travail des intervenant. es et complexifient leur travail. »

Moins de confiance

Le fait que l’espace public est désormais investi d’intervenants qui vont aborder les personnes en situation d’itinérance sans leur consentement et sans demande d’aide fait en sorte que plusieurs d’entre eux vont se cacher, explique en entrevue Alexandra Pontbriand, directrice adjointe de l’organisme Spectre de rue, situé dans le Village. Ces personnes deviennent donc plus difficiles à rejoindre.

« Avant, les gens étaient habitués à voir des travailleurs de rue, qui ont une approche peu intrusive, qui vont intégrer le milieu au rythme du milieu », souligne-t-elle. Désormais, les liens de confiance sont aussi plus difficiles à tisser, les personnes itinérantes ne sachant pas s’ils peuvent faire confiance aux intervenants.

Le travail de rue et le travail communautaire se distinguent des escouades mixtes parce que leurs intervenants collaborent de façon minimale avec la police et qu’ils priorisent les intérêts des personnes itinérantes, a détaillé en conférence de presse Jérémie Lamarche, organisateur communautaire au RAPSIM.

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Jérémie Lamarche

Selon le rapport, les escouades mixtes ont trois impacts ambigus ou négatifs sur les personnes en situation d’itinérance :

  • Multiplier les interventions dans le milieu de vie des personnes en situation d’itinérance et rendre plusieurs espaces de la ville plus hostiles à leur présence
  • Augmenter leur criminalisation, leur sentiment de stress et de vulnérabilité
  • Reproduire un cercle vicieux qui reproduit les problèmes vécus

« Les escouades mixtes restent ancrées dans une logique de répression qui vise à satisfaire les intérêts de certain. es résidant. es et commerçant. es qui ne veulent pas voir la pauvreté au désavantage des besoins des personnes en situation d’itinérance », peut-on aussi lire.

C’est notamment le cas quand les intervenants communautaires sont appelés à épauler la police dans des opérations comme des démantèlements, par exemple, souligne-t-on.

Appelé à commenter, le service des relations avec les médias du SPVM a indiqué à La Presse réserver ses commentaires, car il n’a pas pris connaissance du rapport.

À Québec, le ministre de la Sécurité publique François Bonnardel a affirmé que lors de sa tournée des corps policiers de la province, « les policiers [étaient] très fiers de travailler avec ces intervenants sociaux sur le terrain. » Le ministère va attendre l’évaluation du SPVM du rapport et prendre le temps de l’analyser de son côté.

« On a besoin que tout le monde travaille ensemble »

Le cabinet de la mairesse Valérie Plante va prendre le temps de bien analyser le rapport, a-t-on indiqué à La Presse.

« Dans le contexte de la crise sans précédent des vulnérabilités qui sévit au Québec, on a besoin que tout le monde travaille ensemble sur le terrain pour soutenir les plus vulnérables. Notre approche, c’est de briser les silos », a précisé le responsable de la sécurité publique à la Ville de Montréal, Alain Vaillancourt.

« Avec la complexité des enjeux actuels dans l’espace public : la crise des opioïdes, la crise du logement et de la santé mentale, cela impose de mobiliser tous les intervenants qui ont des expertises complémentaires, autant le communautaire que le réseau de la santé et le SPVM », estime aussi le conseiller municipal du Sud-Ouest.

Abolir les équipes mixtes

Le rapport propose différentes solutions face à ces constats, dont l’abolition des équipes mixtes et le transfert de leur financement vers le milieu communautaire.

En effet, le rapport relève un financement démesuré des escouades mixtes par rapport aux organismes locaux, au point où ces escouades « menacent de remplacer le milieu communautaire ».

Plutôt que des escouades mixtes, le rapport propose aussi la création d’une « escouade civile » qui aurait pour mission de répondre aux demandes d’urgence non criminelles, avec une posture neutre et impartiale. De tels modèles existent déjà à Toronto, Edmonton et Denver, précise-t-on. Une consultation publique pourrait mener à la création d’une telle escouade.

« On croit aussi beaucoup au modèle non mixte, c’est pour cela que nous avons créé l’Équipe mobile de médiation et d’intervention sociale (ÉMMIS), qui est une équipe entièrement civile qui intervient auprès des personnes vulnérables dans l’espace public », ajoute M. Vaillancourt.