Une Montréalaise a été tuée par une dépanneuse illégale dont le chauffeur conduisait dangereusement, vient de trancher la justice. Ce dernier est passible d’une amende de 1000 à 3000 $, une issue face à laquelle la famille de la victime est ambivalente.

Jason Hamon n’a pas fait l’objet d’accusations criminelles pour avoir brûlé un feu rouge à haute vitesse à l’intersection de l’avenue Dollard et de la rue Saint-Patrick, à Montréal, le 3 janvier 2022. Son véhicule a heurté le VUS à bord duquel se trouvait Claude Hachez et sa conjointe Évelyne Chauveau, le projetant sur la glace du canal de Lachine.

M. Hachez s’en est sorti avec des blessures. Mme Chauveau a perdu la vie.

« Son feu était vert et celui de Jason Hamon était rouge », a écrit le juge de la cour municipale Randall Richmond en déclarant le conducteur coupable d’une simple infraction au Code de la sécurité routière. Le Code interdit toute « action susceptible de mettre en péril la vie ou la sécurité des personnes ».

« Sa conduite était clairement susceptible de mettre en péril la vie ou la sécurité des personnes ou la propriété. Il était imprudent de conduire à la vitesse qu’il avait dans les conditions à l’endroit où il se trouvait et au moment où il s’y trouvait », a continué le magistrat. « Il était encore plus imprudent de tenter de traverser l’intersection alors que le feu de signalisation lui dictait d’arrêter. »

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

La dépanneuse impliquée dans l’accident mortel

À leur arrivée sur les lieux de la collision, les policiers ont constaté que la dépanneuse impliquée n’aurait pas dû être sur la route : son permis municipal était expiré depuis deux ans. Le propriétaire du véhicule, Pro Assist, a aussi été mis à l’amende.

M. Hamon n’a pas rappelé La Presse.

Code de la sécurité routière

Loïc Bernard, fils de Mme Chauveau, est ambivalent face à l’issue du processus judiciaire.

« Est-ce que je trouve que c’est décevant ? Oui. Est-ce que j’aurais voulu que le résultat soit différent ? Honnêtement, je ne sais pas. Qu’est-ce que ça m’apporterait qu’il ait une peine plus sévère ? », a-t-il dit en entrevue téléphonique avec La Presse.

« On peut dire que c’est frustrant, mais on m’a expliqué les différents détails de la loi qui font en sorte qu’il pouvait être accusé d’une telle façon et pas d’une autre », a-t-il continué.

Est-ce que c’est juste, pas juste ? C’est très difficile de juger.

Loïc Bernard, fils d’Évelyne Chauveau, la victime

Une infraction au Code de la sécurité routière est beaucoup plus facile à prouver devant les tribunaux qu’une infraction criminelle. Par exemple, le procureur n’a pas besoin de s’attarder à l’état d’esprit de l’accusé au moment des faits, alors que c’est le cas dans le cadre d’un procès criminel.

« Un piège ou une ruse policière »

Pour compliquer les choses, le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a commis une gaffe en interrogeant Jason Hamon.

Cinq mois après la collision, l’homme a été convoqué au poste de police pour deux interrogatoires parallèles : « un volet coroner et un volet criminel/pénal pour conduite dangereuse », relate le juge Richmond dans une autre décision.

Le policier Luc Sauvé assure à Jason Hamon que ses réponses destinées au rapport du coroner ne seront pas utilisées contre lui. M. Hamon répond à ces questions pendant une quinzaine de minutes.

Lorsque le volet « criminel » de l’interrogatoire commence, il décide de garder le silence. En fin de rencontre, il confirme toutefois d’un « oui » que ses déclarations initiales constituent bien sa version des faits. La police et le procureur municipal ont tenté de faire accepter au tribunal que ce « oui » leur permettait de présenter en preuve l’interrogatoire destiné au coroner.

Le juge Randall Richmond a refusé. « Cette façon de travailler ressemble bien plus à un piège ou une ruse policière qu’à une enquête honnête et professionnelle », a-t-il écrit.

« Putain de camion »

L’avis de décès de Mme Chauveau célèbre « son amour, sa bonté, son élégance, une générosité sans égale, mais aussi une naïveté qui la gardait jeune et belle ».

Elle avait 74 ans au moment où « le temps s’est subitement arrêté » pour elle.

PHOTO TIRÉE DE L’AVIS DE DÉCÈS

Évelyne Chauveau, morte le 3 janvier 2022

« Elle aura eu tout de même le temps de toucher, de près, de loin, et de quelque façon que ce soit, les gens qu’elle aimait, mais aussi ceux et celles qu’elle avait simplement rencontrés », continue l’avis. Le texte ajoute : « Putain de camion », titre d’une chanson de Renaud portant sur la mort de l’humoriste Coluche dans un accident de la route en 1986.

Loïc Bernard aimerait que les pouvoirs publics s’attardent aux structures de sécurité qui pourraient empêcher les véhicules de plonger dans le canal de Lachine après une sortie de route.

« À plusieurs endroits, sur de longs stretchs, il n’y a aucune rambarde qui empêcherait un véhicule […] de tomber dans l’eau », a-t-il déploré. « C’est quelque chose qui mérite, à mon avis, un peu d’attention. »