La recherche en psychologie de l’environnement peut nous en apprendre beaucoup sur le fonctionnement du cerveau humain ainsi que sur les freins et les leviers à l’action climatique. Aperçu.

Les dragons de l’inaction

En 2011, Robert Gifford a publié dans la revue scientifique American Psychologist un article qui est devenu viral et a été cité à 2316 reprises dans d’autres publications scientifiques. Le professeur en psychologie de l’Université de Victoria identifiait 29 barrières psychologiques, réparties en sept catégories, qui limitent notre capacité à agir contre les changements climatiques. Il les a baptisées les « dragons de l’inaction ». Ses recherches s’étant poursuivies depuis, les dragons se sont multipliés et sont aujourd’hui au nombre de 42. Ces barrières s’ajoutent aux freins tels que le manque d’infrastructures ou de ressources financières ou l’incapacité physique.

« Les dragons sont des justifications, des excuses [pour ne pas agir] », résume-t-il.

Ainsi, quelqu’un qui croit que la protection de l’environnement est importante pourrait ne pas agir parce qu’il pense que cela ne touche pas directement sa ville ou parce qu’il est trop anxieux pour faire quoi que ce soit. Peut-être pense-t-il aussi que les ingénieurs vont résoudre le problème ou – le dragon le plus important, selon M. Gifford – il a des objectifs et des aspirations contradictoires, c’est-à-dire d’autres problèmes à régler ou des désirs profonds comme conduire un véhicule utilitaire sport ou partir en voyage.

Le cerveau humain est lui-même l’un de ces dragons. Puisqu’il a peu évolué au cours des derniers millénaires, il répond toujours mieux aux dangers et aux récompenses immédiats, pour des impératifs de survie.

Pour combattre ces dragons, le laboratoire de recherche du professeur Gifford étudie l’efficacité de différents types de message.

Entre dire “le problème est là, à Outremont ou en Uruguay”, le premier sera plus efficace. Tout comme de dire que le changement climatique a des conséquences maintenant plutôt qu’en 2050. Ce n’est pas sorcier, mais on voit beaucoup de messages qui ne vont pas dans la bonne direction.

Robert Gifford, professeur de psychologie et chercheur en psychologie environnementale à l’Université de Victoria

Les chercheurs en psychologie n’ont pas trouvé de message universel qui serait une clé de voûte. « Nous avons besoin de messages différents pour des populations différentes qui ont des comportements différents qui affectent l’environnement, comme le transport, l’alimentation, le chauffage domestique », expose Robert Gifford.

Au-delà de la carotte et du bâton

L’approche de la carotte et du bâton, souvent utilisée dans les politiques publiques pour induire un changement de comportement, n’est pas suffisante, pense Anne-Sophie Gousse-Lessard, professeure en communication et en psychologie environnementale à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), puisque si on retire la récompense ou la punition, le comportement qu’on souhaite changer reviendra.

Il y a des réglementations qui devront être nécessaires, mais en parallèle, il faut accompagner, éduquer et motiver la population à accepter ces règlements-là, à en voir la pertinence ou à les refuser lorsque c’est trop.

Anne-Sophie Gousse-Lessard, professeure en communication et en psychologie environnementale à l’UQAM

C’est ce que les psychologues appellent la motivation autodéterminée qui se traduit par la capacité de l’individu à sentir qu’il est responsable de ses choix, qu’il agit en fonction de ses valeurs et de son identité. Ce qui favorise le changement à long terme, selon la professeure ? Donner aux gens le pouvoir de faire des choix, renforcer leur sentiment de compétence en les amenant à sentir qu’ils peuvent agir et soutenir leur besoin d’affiliation sociale avec des stratégies de participation citoyenne.

Face au déni climatique

Malgré un large consensus scientifique, une frange de la population ne croit pas aux changements climatiques ou à leur origine humaine. Pour contrer le déni climatique, Robert Gifford appelle au dialogue constructif. « Il ne faut pas s’opposer directement à eux en leur disant : “Vous avez tort. Vous êtes stupides. Vous êtes ignorants.” Cela ne les amènera qu’à contre-attaquer. La meilleure chose à faire face à un négationniste est de lui demander ce qui est important pour lui. Beaucoup finiront par comprendre que ce qui est important pour eux, leurs enfants, leurs petits-enfants, la chasse ou leur santé sera affecté par le changement climatique. »

La peur et l’espoir, avec minutie

Pour évaluer le rôle des émotions dans la perception et l’action climatique et identifier les leviers d’action, un chercheur de l’Université de Genève (UNIGE) a revu systématiquement toute la littérature de 2015 à 2020 traitant des émotions et du changement climatique. Il ressort de cette étude, publiée dans Current Opinion in Behavioral Sciences, que les émotions ressenties sont un meilleur indicateur de l’adoption de comportements durables que des facteurs sociodémographiques comme l’âge, le sexe ou l’orientation politique. Or, dans les communications, la peur et l’espoir doivent être utilisés avec minutie afin de ne pas susciter l’immobilisme, selon Tobias Brosch, professeur de psychologie du développement durable et auteur de l’étude. Enfin, son étude confirme l’effet de renforcement du « warm glow », l’émotion positive qui suit un geste positif et son rôle dans l’adoption de comportements durables.

Consultez l’étude de Tobias Brosch (en anglais)

Influence ou manipulation ?

Alors que la psychologie a été utilisée par les publicitaires pour induire des comportements d’achat et par les créateurs des réseaux sociaux pour accaparer notre attention, son usage pour promouvoir l’adoption de comportements écoresponsables soulève des questionnements éthiques. Doit-on se préoccuper de l’utilisation du marketing social par les gouvernements, même si l’objectif est de générer des effets bénéfiques pour la collectivité ? « Cette perspective critique est absolument essentielle, affirme Anne-Sophie Gousse-Lessard, de l’UQAM. Il faut former la relève pour qu’elle apprenne à ne pas seulement appliquer des techniques de manipulation et de changement de comportement, mais à avoir une approche réflexive, systémique pour comprendre les enjeux à différentes échelles d’analyse. » Pour Robert Gifford de l’Université de Victoria, la ligne à ne pas franchir est celle du mensonge. « Il va de soi qu’aucun message ne doit comporter d’éléments erronés ou faux, même pour une bonne cause. »

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